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Autour du roi et de la favorite se déroule la comédie des intrigues de cour. Le caprice fait et défait les ministres, la fantaisie décide les révolutions de diplomatie et les guerres ; on bataille avec le parlement et avec l’église, tandis que la philosophie nouvelle éclate avec les encyclopédistes, avec Voltaire ou Montesquieu, et tout se confond au courant d’une société sceptique et oublieuse qui a perdu la grandeur, mais qui a gardé le bon ton, l’élégance séduisante et l’esprit. Bernis est un des personnages ou, si l’on veut, une apparition de cette société, de ce moment du siècle. Avant 1750, il n’est connu que par des succès d’abbé mondain et par des poésies gracieuses, il en est encore à paraître sur une autre scène. Après 1760, il a déjà disparu, il est exilé. Dans l’intervalle, la fortune a eu le temps de faire de lui un ambassadeur, un ministre des affaires étrangères dans une des crises les plus graves de la politique française, un prince de l’église, — et l’abbé des premiers jours, devenu cardinal en perdant le ministère, a vécu assez après sa disgrâce pour aller finir dans la dignité d’une grande représentation ecclésiastique à Rome, en pleine révolution.

Les renommées ont leur destin. Le malheur de Bernis est d’avoir commencé par le bel esprit, les petits vers, les galanteries et la pauvreté, d’avoir paru ne devoir son élévation qu’à une fantaisie. Il est entré, pour ainsi dire, dans l’histoire marqué de la faveur de Mme de Pompadour, escorté des commérages de Mme du Hausset, des propos légers de Marmontel, des anecdotes de boudoirs, de cette épithète de « Babet » que Voltaire a malignement attachée à son nom. Il s’en est toujours ressenti dans son rôle public. Il a souffert aussi d’avoir été l’instrument de cette révolution diplomatique de 1756 qui a si mal tourné pour la France. Il est resté avec cet air d’un héros de la légende des frivolités du temps que les récits à demi historiques de Duclos ont à peine atténué. Il vaut cependant mieux que sa réputation, et c’est justement l’intérêt de ces Mémoires qui sortent aujourd’hui pour la première fois des archives de sa famille, c’est l’intérêt de ces pages vieilles de plus d’un siècle d’éclairer d’un jour plus vrai cette figure du passé. Ces Mémoires, qui datent du moment où Bernis était déjà cardinal et où il n’était plus ministre, n’ont sans doute rien d’extraordinaire par les révélations, ils ne disent pas tout. Ils ne sont pas un nouveau chapitre de l’histoire secrète et familière de l’histoire du temps. Ils ont le mérite d’être écrits avec une aisance de bon goût, de dégager des fictions le caractère et la carrière de Bernis, de préciser la mesure dans laquelle il a pris part à une des plus grandes affaires du siècle, de rectifier les faux jugemens. Ils se complètent par les lettres intimes que Bernis écrivait dans les momens les plus critiques, dans le feu de l’action, au roi, à Mme de Pompadour, au duc de Choiseul,