intelligence. Il était devenu en quelques années un brillant élève, trop brillant peut-être, trop adonné au goût des belles-lettres et trop mondain aussi. Pour un séminariste, il se laissait assez aisément tenter par l’occasion, par les spectacles qui le passionnaient, par l’opéra qui « attendrissait ses sens. » Bref les directeurs de Saint-Sulpice le jugeaient trop émancipé pour le garder. Le cardinal de Fleury ne voulait plus s’occuper de lui. Le père à son tour se hâtait de lui supprimer tout subside, et c’est ainsi que Bernis se trouvait à vingt ans jeté dans Paris avec son petit collet d’abbé, sans appui, sans ressources, mais avec de l’instruction, de l’esprit, une belle santé et la bonne envie de vivre. Il restait seul, livré à lui-même, chargé de sa propre destinée, et il en prenait gaîment son parti.
C’est le début de ses aventures dans le siècle, c’est le commencement d’une première période de quinze ans où tout semble frivolité. Bernis entrait d’un pas léger, en volage échappé de Saint-Sulpice, dans cette société de 1735, où régnaient les plaisirs, les conversations ingénieuses, les mœurs faciles, et où il allait être lui-même bientôt un abbé à la mode, un bel esprit recherché, le héros familier des salons, des soupers et des boudoirs, il avait tout ce qu’il fallait pour réussir : il avait la jeunesse, une jeunesse intelligente qui rayonnait sur son frais et riant visage, la naissance qui pouvait lui ouvrir la cour et le plus beau monde, un caractère aimable et ouvert, la vivacité confiante d’un enfant du Midi à l’accent gracieusement original. Il avait bien des dons heureux dont il savait se servir. Il s’est peint lui-même sans affectation et sans fausse modestie, tel qu’il était dans ces premiers temps. « Je cherchai des amis dans le grand monde, j’en trouvai, dit-il… Une imagination assez brillante, une gaîté soutenue, l’air et les agrémens de la santé, une hauteur d’âme sans vanité, une indépendance qui n’avait que l’air de la liberté, surtout de la discrétion, un esprit de conciliation et de douceur, furent les qualités qui me firent admettre dans la bonne compagnie et qui bientôt m’en firent rechercher. Je fus admis de très bonne heure dans la confidence de toutes les intrigués du temps, j’étais secret quoique ouvert, cette qualité fit oublier ma jeunesse… » C’est peut-être un portrait un peu idéalisé après coup, après le ministère et la pourpre. Le fait est que, pauvre d’argent, riche de bonne humeur et d’espérance, le jeune abbé faisait en peu de temps son chemin dans cette société de femmes brillantes, de courtisans et de gens d’esprit, dans ce monde où Voltaire s’essayait à une royauté universelle qui allait remplir le siècle.
Il avait trouvé des parens, des alliés de sa famille empressés à l’accueillir et à lui ouvrir toutes les portes. Il était surtout un peu cousin du cardinal de Polignac, l’auteur de l’Anti-Lucrèce, le prélat galant et vain, à l’intarissable parole, qu’il flattait en allant