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Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 31.djvu/546

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allaient, à commencer par Voltaire. Ce n’est qu’après bien des hésitations, il l’avoue, qu’il se laissait vaincre par la comtesse d’Estrade et conduire chez Mme d’Étioles, qui mettait toute sa coquetterie de femme à lui faire demander son amitié.

Son rôle, et c’est bien assez, est d’avoir été un ami recherché, désiré et accepté, de la première heure dans ce règne qui commençait. Dès l’été de 1745, pendant que Louis XV était à l’armée du maréchal de Saxe, l’abbé, avec l’agrément du roi, passait presque tout son temps à Étioles, où la favorite s’était retirée, où elle allait recevoir du camp royal le titre de marquise de Pompadour. Il partageait à peu près avec le duc de Gontaut le privilège de l’intimité dans cette charmante retraite d’Étioles[1]. Il était initié à tous les secrets, à la correspondance de Louis XV avec la nouvelle marquise, et à partir de ce moment, même après le retour du roi, il restait, il allait rester pour des années un confident sûr, un conseiller discret, souvent traité avec un apparent sans-façon, toujours apprécié pour sa sincérité, pour sa délicatesse, pour sa raison ingénieuse et fine. Quand il ne voyait pas Mme de Pompadour, il était convenu qu’il devait lui écrire. Il savait envelopper la vérité de bonne grâce, rester honnête dans un rôle un peu équivoque et se maintenir en crédit sans bassesse. La position était étrange, pleine de promesses, de tentations et de périls pour l’abbé.

Ce n’est pas qu’il profitât d’abord beaucoup pour lui-même de ces circonstances inattendues, des familiarités de la reine du moment dont il était l’ami. Il avait assez de désintéressement et de délicatesse pour s’abstenir de toute importunité, de tout manège vulgaire. Mme de Pompadour s’accusait quelquefois de l’oublier ; elle écrivait à un des courtisans et un des soutiens de sa fortune, au financier Pâris-Duverney : « Je n’ai encore pu faire de bien à l’abbé, c’est le seul de mes amis qui soit dans ce cas. » En réalité, dans les premières années, Bernis n’avait obtenu qu’une pension de quinze cents livres sur la cassette du roi et un logement au Louvre, d’autres disent aux Tuileries : Mme de Pompadour y avait ajouté un meuble de brocatelle et le roi « un rouleau de louis pour les clous. » Ce n’est qu’en 1748 que, faisant un pas de plus, un pas modeste encore, il entrait grâce à sa noblesse au chapitre renommé des chanoines de Lyon, où il fallait faire preuve de vieille race. Il avait été par un premier canonicat comte de Brioude, il devenait par un

  1. Marmontel, dont les Mémoires ont des parties intéressantes, n’a là-dessus que des commérages de lettré indiscret et un peu jaloux, quand il représente Bernis comme un quémandeur allant avec son petit paquet par le coche à Étioles. C’est une méprise de sa vanité de confondre le ton que Mme de Pompadour pouvait prendre avec lui et le ton familier qu’elle avait avec l’abbé. Bernis était pauvre, mais homme de naissance, ce qui était quelque chose dans ce monde, surtout pour Mme de Pompadour.