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entrait au conseil comme ministre d’état ; ce n’est que six mois plus tard qu’il devenait réellement ministre des affaires étrangères, et pour hâter ou assurer son élévation, il fallait deux incidens, dont l’un, le premier, l’attentat de Damiens, le 5 janvier 1757, risquait d’emporter d’un seul coup l’alliance autrichienne, le règne de Mme de Pompadour avec la vie du roi.

Nommé depuis la veille ministre d’état et tombant à Versailles au moment où la tentative de meurtre venait d’être commise, au milieu d’une cour effarée, Bernis montrait autant de fermeté que de présence d’esprit. Pendant toute la maladie du roi, il ne perdit pas un instant la tête. Il avait l’art de concilier ce qu’il devait à la famille royale, au dauphin, impatiens de hâter la disgrâce de la favorite, et ce que lui inspirait son attachement pour Mme de Pompadour. Il trouvait « le secret d’enchanter la famille royale » sans manquer à l’amitié qui le liait à la femme menacée. Il jouait si bien son rôle qu’il sortait avec un crédit fortifié de cette crise de onze jours où disparaissaient le ministre de la guerre, le comte d’Argenson, le contrôleur général, M. de Machault, sacrifiés à la favorite triomphante. Bernis, dès son entrée au conseil, s’était fait la réputation d’un esprit clairvoyant et décidé.

L’autre incident qui allait le conduire définitivement au ministère des affaires étrangères ressemblait à une comédie jouée par un personnage dont la fortune commençait à se dessiner, le comte de Stainville, bientôt duc de Choiseul. Le comte de Stainville était depuis quelque temps déjà fort bien en cour auprès de Mme de Pompadour, à qui il avait rendu un singulier service en lui livrant des lettres compromettantes pour une de ses parentes, Mme de Choiseul-Romanet, objet passager d’un caprice galant de Louis XV. Il y avait gagné déjà l’ambassade de Rome, il venait d’y gagner encore l’ambassade de Vienne. Avec sa naissance, avec son esprit, « entreprenant, ambitieux et adroit, » il visait plus haut. Pour le moment, avant de partir pour Vienne et d’accord avec Mme de Pompadour, il tenait à hisser Bernis aux affaires étrangères ; mais le ministre Rouillé était vieux, apoplectique, menacé de mort prochaine, et le roi, qui n’était pas inhumain, qui avait même quelquefois des ménagemens pour ses serviteurs, ne voulait pas entendre parler d’une disgrâce qui serait le dernier coup pour son ministre. « Ah ! s’il pouvait se déplacer lui-même, » disait un jour Mme de Pompadour. — « N’est-ce que cela ? » répondait vivement M. de Stainville, et aussitôt il courait chez Mme Rouillé. Il s’efforçait de lui démontrer que, pour sa position à la cour, elle avait le plus grand intérêt à conserver son mari, qu’elle ne pouvait le conserver que par le repos, bien entendu, avec les places et les honneurs qu’on lui assurerait. Il la persuadait ou ne la persuadait pas, il l’entraînait, sans la laisser