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respirer, chez son mari, il enlevait la démission du bonhomme, et avant que deux heures fussent passées il revenait triomphant avec cette démission auprès de Mme de Pompadour, qui « en eut autant de surprise que de joie. » La place était libre, et c’est ainsi que par le tour d’adresse de Stainville le négociateur du traité du 1er mai 1756 devenait au mois de juin 1757 le ministre des affaires étrangères de France.


III

Lorsque Bernis, arrivé à ce sommet de la fortune politique, regardait derrière lui, il pouvait assurément se dire avec une certaine complaisance qu’il avait fait du chemin, qu’il était loin de ces premiers temps où petit abbé il brillait par les vers faciles, par les séductions mondaines, et où il avait ses gaies aventures. Il était sorti de ses embarras de jeunesse, il avait renoncé aux frivolités, il n’avait gardé que l’esprit en devenant un personnage sérieux. Les bénéfices ne lui manquaient plus maintenant : il venait de recevoir l’abbaye de Saint-Médard et il était ministre, ministre par la confiance intime du roi, par la faveur de celle qui, victorieuse de ses ennemis, restait plus que jamais l’âme du gouvernement. Il avait entre les mains les affaires de l’Europe avec les affaires de la France, et il s’animait à cette œuvre qui, en flattant son ambition, ne laissait pas d’inquiéter parfois sa raison. « Nous sommes dans la crise, écrivait-il peu auparavant à Pâris-Duverney ; ma santé est bonne, malgré le travail qui augmente et va augmenter de jour en jour. » Bernis ministre à Versailles, Stainville ambassadeur à Vienne, c’était l’alliance autrichienne en action dans le feu d’une guerre qui allait durer six ans encore, qui sévissait réellement depuis une année déjà.

On sait ce qu’a été cette guerre commencée par la rupture entre l’Angleterre et la France, bientôt transportée et continuée en Allemagne. On sait toute cette suite d’événemens, — et le brillant prélude de la conquête de Minorque sur les Anglais, et la brusque invasion de la Bohême par le roi de Prusse au mois d’août 1756, et la marche de nos armées sur le Rhin, et l’expédition du Hanovre sous d’Estrées d’abord, puis sous l’heureux vainqueur de Mahon, le maréchal de Richelieu, et les premières alternatives de la lutte sur l’échiquier allemand. Au moment de l’entrée de Bernis au ministère des affaires étrangères, la fortune semble encore indécise, plutôt favorable aux alliés, Autrichiens et Français. Frédéric II, après avoir débuté par des victoires, vient d’être battu à Kollin par le comte Daun. Peu après le maréchal d’Estrées, de son côté, a l’avantage sur le duc de Cumberland à Hastembeck et entre en