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victorieux à Hanovre. Bernis prétend que dans les premiers jours de son ministère, il n’avait que de bonnes nouvelles à porter au roi, et « qu’en le voyant passer on disait : « Tiens, le voilà, il a l’air d’une bataille gagnée. » Mais ces momens sont courts, et bientôt tout change à vue d’œil. Déjà sous mille formes éclatent tous les signes avant-coureurs des catastrophes prochaines et peut-être irréparables, — la versatilité des conseils, le désordre des finances, l’épuisement intérieur, le favoritisme dans le choix des généraux, la nullité et la présomption à la tête des armées, Mme de Pompadour voulant faire un héros de M. de Soubise, et Richelieu allant faire la guerre avec la frivolité d’un courtisan, avec la cupidité d’un maraudeur. Avant peu, la crise se précipite. Richelieu, qui est allé remplacer le maréchal d’Estrées au lendemain d’Hastembeck, signe la convention de Closter-Seven, dont il se pare comme d’un décevant trophée pour couvrir ses déprédations et qui permet aux Hanovriens de se dégager, au roi de Prusse de reprendre l’ascendant. La bataille de Rosbach suit de près. Quelques mois encore, ce sera la bataille de Crefeld, perdue par le comte de Clermont envoyé à son tour pour remplacer Richelieu. Les désastres s’enchaînent de 1757 à 1758, et les Autrichiens ne sont guère plus heureux.

S’il y a eu un rêve flatteur pour Bernis, le rêve se dissipe au milieu de ces réalités cruelles et de ces périls croissans. Loménie de Brienne raconte qu’un jour de 1757, au moment où la fortune semblait encore sourire, Bernis se promenait chez lui, repassant dans son esprit les premiers événemens de la guerre, Mahon enlevé, la victoire d’Hastembeck, les Hanovriens menacés d’être pris, Frédéric II vaincu à Kollin, la conquête de l’Allemagne presque assurée. Il faisait son rêve, et se demandant comment tout cela était arrivé, par quels personnages les affaires étaient conduites, ce qu’il y avait eu d’intrigues, de hasards et de caprices, il disait : « Pauvre postérité, que sauras-tu ? » À ce moment il entendait à sa porte le fouet d’un postillon. C’était le courrier portant la nouvelle de la convention de Closter-Seven, et Bernis, qui en saisissait la portée, ajoutait aussitôt : « Le rêve est fini. Ah ! parbleu, la postérité n’est pas si à plaindre ; elle ne sera pas dans le cas de s’étonner si mal à propos. » La postérité a fini par tout savoir, elle n’est pas trop étonnée, elle est du moins très édifiée sur la politique de ce règne des frivolités désastreuses. Bernis, quant à lui, ne tardait pas à comprendre, après Closter-Seven, bien plus encore après Rosbach, et définitivement après Crefeld, que tout était perdu. Il se sentait engagé dans une crise qui dépassait son génie, qu’il jugeait avec une honnête clairvoyance, mais qu’il n’avait plus la force de dominer ou d’arrêter. Il en avait assurément toutes