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destructions a dû provoquer un pareil exemple donné par un Franc, par un personnage revêtu d’un caractère officiel !

Il ne semble pas qu’aucun des résidens européens ou des consuls eût alors encore commencé à rechercher les antiquités cypriotes, et pourtant elles sortaient de terre comme d’elles-mêmes ; sur certains points, il suffisait, à la lettre, de se baisser pour les ramasser. À Dali, sur l’emplacement de l’antique Idalion, les villageois, quand ils n’avaient rien de mieux à faire, ouvraient des trous pour retirer du sol de gros blocs auxquels se heurtait souvent leur charrue ; ils amélioraient ainsi leur champ, et tiraient quelques piastres de la vente de ces matériaux. En creusant leurs tranchées, ils trouvaient, à chaque instant, des figurines en terre cuite et des fragmens de statue en calcaire. Ross en rencontra dans presque toutes les maisons ; il acquit celles qui lui parurent les plus intéressantes. Le léger bénéfice ainsi réalisé suffit à stimuler l’ardeur des Daliotes ; quand le voyageur repassa par Dali, on lui montra toute une nouvelle série de figures que, dans l’intervalle, on avait tirées des mêmes collines. Il fit donc de nouveaux achats. La petite collection ainsi formée entra, bientôt après, au musée de Berlin. Celui-ci fut le premier à posséder une suite de monumens dont la provenance cypriote fût bien établie ; mais là même, dans ce centre d’études et de recherches archéologiques où se tenait à l’affût de toutes les nouveautés la curiosité toujours en éveil d’un Gerhard, il ne semble pas que ces monumens aient été tout d’abord aussi remarqués qu’ils méritaient de l’être. En les exposant dans la salle assyrienne, on avait bien mis le visiteur sur la voie de comparaisons et de rapprochemens utiles ; mais il faut pourtant descendre jusqu’à l’année 1863 pour trouver dans l’organe le plus autorisé de la science allemande, dans la Gazette archéologique de Gerhard, un article où soit comprise et signalée l’importance de l’art cypriote. Déjà pourtant l’on était averti ; sans insister longtemps ni rien démontrer, Ross avait laissé voir, dix ans plus tôt, combien il était frappé du caractère très particulier de tout ce qu’il apercevait à Cypre. Appareil et procédés de construction, tombeaux, statuaire et céramique, tout lui rappelait ce qu’il avait observé dans celles des îles de l’archipel que l’on sait avoir été le plus longtemps occupées par les Phéniciens, à Mélos par exemple, à Théra et à Rhodes. Avec une sage réserve, il déclarait ne pouvoir définir encore l’art phénicien ; mais il indiquait tout au moins, d’un trait rapide et juste, certaines ressemblances qui donnaient fort à penser. Dès lors, les esprits un peu pénétrans pouvaient deviner qu’il y avait là toute une nouvelle province archéologique à conquérir, toute une page de l’histoire de la civilisation à rétablir