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L’ÎLE DE CYPRE.

lettre par lettre et ligne par ligne, à l’aide des monumens figurés.

Le filon ouvert par Ross fut bientôt exploité par d’autres. C’était le moyen âge français que M. de Mas Latrie venait y chercher en 1846 ; mais il avait l’esprit trop curieux pour ne pas accorder aussi quelque attention aux antiquités cypriotes. Faute de ressources, il eut le chagrin de voir partir pour Berlin la stèle de Sargon, qui venait d’être découverte à Larnaca lorsqu’il débarqua dans l’île ; mais tout au moins put-il former à Dali et dans d’autres endroits une petite collection de figurines en calcaire et en terre cuite. À son retour, ces pièces furent offertes par lui au cabinet des antiques ; mais elles n’y ont jamais été exposées. Peu d’années après, en 1850, c’était M. de Saulcy qui visitait Larnaca, au cours de l’un de ses voyages en terre-sainte. On connaît M. de Saulcy ; on sait comme il a l’intelligence vive, alerte, aventureuse même, combien l’ont toujours attiré les problèmes les plus obscurs et les plus difficiles, dans combien d’études il s’est engagé sans pouvoir se résoudre à s’arrêter et à s’enfermer dans aucune ; tout au moins a-t-il laissé partout sa trace, celle d’une sagacité vaillante, hardie et joyeuse qui pousse des pointes en tout sens, qui amorce et qui fraie les voies que de plus patiens ouvriers viendront ensuite élargir et aplanir tout à leur aise. Sans avoir accordé jusqu’alors à l’histoire de Cypre une attention particulière, M. de Saulcy saisit tout d’abord, au passage et comme au vol, l’importance et l’intérêt des monumens que ses nécropoles commençaient à fournir. Il acquit donc à Larnaca une suite de statuettes que, dès l’année suivante, il cédait au musée du Louvre ; en même temps, il y faisait entrer aussi deux objets plus curieux encore peut-être, deux de ces coupes de métal, travaillées au marteau et à la pointe, dans lesquelles on reconnaît aujourd’hui, en toute assurance, un des produits principaux de l’industrie phénicienne, un de ceux que recherchaient le plus tous les riverains de la Méditerranée, les Étrusques et les Latins comme les Grecs des îles et ceux du continent[1]. Un de ces vases, en argent doré, avait été recueilli dans les ruines de Kition et vendu à un orfèvre de Larnaca. Celui-ci avait déjà commencé à le briser en morceaux qu’il allait, quelques minutes plus tard, jeter au creuset ; il était occupé à ce beau tra-

  1. De Longpérier, Musée Napoléon III, pl. X et XI. Un jeune archéologue d’un esprit très pénétrant, M. Clcemont-Ganneau, qui a débuté par un coup d’éclat, la découverte de la célèbre stèle de Mésa, vient de soumettre à une étude minutieuse et sagace toutes les coupes de cette espèce connues jusqu’à ce jour. Son mémoire, qui parait appelé à faire époque dans la science, est en cours de publication dans le Journal asiatique, mais il en a dès maintenant indiqué la méthode et résumé les conclusions dans un court essai intitulé Mythologie iconographique (Ernest Leroux, 1878) où abondent les vues ingénieuses et fines.