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Quelques-unes choisissent cet état, et l’avouent, un peu par paresse : « C’est un bon état, où l’on est toujours assis. » Une autre dit la même chose d’une manière plus gaie et plus spirituelle : « J’aime mieux faire aller mes doigts que mes jambes. » En voici une qui exprime d’une manière bien originale la sécurité que donne aux femmes le travail à l’aiguille : « L’aiguille, dit-elle, c’est le chassepot d’une fille. » Vous croyez avoir affaire à une virago, point du tout, car elle ajoute : « J’aurais voulu être institutrice, j’aurais pu enseigner aux enfans ce qu’était Dieu, et tout ce qu’on m’a appris dans mon enfance. » Quelques-unes acceptent cet état faute de mieux et par nécessité : « Je ne puis parvenir à mieux ; » — « Si mon père avait vécu, j’aurais pu être autre chose ; » — « j’avais le goût de la musique ; mais j’y ai renoncé. » D’autres s’y décident pour en finir avec les études : « Je suis fatiguée de la classe ; » — « On en sait toujours assez pour ce métier-là. » D’autres font des proverbes qui, ma foi, valent bien ceux de Franklin : « Une femme qui ne sait pas coudre n’est bonne à rien ; » — « il n’y a de bons ménages que quand on sait coudre. » Quelquefois des sentimens tendres et délicats se font jour dans cet humble choix de profession. « Je l’ai promis à ma mère avant de mourir ; » — « je travaillerai auprès de ma mère paralysée. Je lui lirai mes livres d’histoire et de géographie ; » — « je pourrai faire des vêtemens pour les pauvres. »

Que dites-vous de ce tableau ? Ne voyez-vous pas la vie humaine dans toute sa naïveté, dans tout son naturel, les intérêts réels et matériels qui commandent à la plupart des hommes, et pèsent déjà sur de pauvres enfans ; le goût qui corrige l’âpreté de la réalité, le plaisir qui l’égaie, le sentiment vif de la vie domestique, et au fond de tout cela le devoir et le travail, dont pas une n’a un seul instant la pensée de douter. Tels sont les sentimens divers qui viennent de se révéler à nous ; on les retrouve encore dans le choix des autres états, mais avec les nuances propres à chacun d’eux.

Après l’état de couturière, celui qui paraît le plus désiré, on le comprend, c’est celui d’institutrice. En donnant le goût de l’étude aux enfans, on leur inspire naturellement le désir d’y persévérer : le seul moyen, c’est l’enseignement. Le nombre des postulantes à l’enseignement est assez grand, et le serait plus encore si on comptait toutes celles qui en manifestent le désir, mais dont le désir est contrarié par la volonté des parens, non que cette profession ne soit pas estimée tout son prix ; mais elle demande de longues études, le succès y est incertain, et le gain tardif. Quant à celles qui obtiennent de choisir cette carrière, elles font valoir des raisons diverses qu’il est facile de prévoir. Le motif le plus fréquemment invoqué et le plus conforme à la nature, c’est l’amour des enfans : un grand nombre