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core la pierre, par les tons rouges et noirs du visage et des cheveux. Une fois mis sous les yeux du public avec ceux qu’avait rassemblés M. de Vogüé, ces fragmens étaient assez nombreux, ils présentaient des caractères communs assez particuliers pour provoquer des réflexions et des études qui encouragèrent l’administration du musée à développer cette partie de la collection confiée à ses soins. C’est ainsi qu’en 1885 elle obtint du ministre de la marine qu’il fît enlever par un bâtiment de guerre le fameux vase d’Amathonte, dont M. de Vogüé avait pris possession quelques années plus tôt, au nom de la France. Ce grand vaisseau, taillé dans un calcaire poreux, a 3m,20 de diamètre et 1m,85 de hauteur ; il pèse environ 14,000 kilogrammes ; il est intéressant, non-seulement par ses dimensions tout exceptionnelles, mais aussi par l’ornementation de ses quatre fausses anses. Grâce aux soins de M. le lieutenant de vaisseau Magen, l’opération, qui présentait ses difficultés et ses dangers, réussit parfaitement ; le vase, après avoir été de Marseille au Havre et avoir remonté la Seine sur un bateau plat, put être placé au Louvre le 13 juillet 1866[1].

Il importe, à ce propos, de protester contre une assertion malveillante de M. von Loeher. À côté du vase que nous possédons aujourd’hui s’en trouvait un autre un peu plus grand, dont les anses étaient plus simplement décorées. Ce second vase était déjà brisé en plusieurs morceaux du temps de Ross, et M. von Loeher le reconnaît, en se servant des mêmes expressions que ce voyageur[2]. En même temps, sur la foi de je ne sais quels dires, il accuse les matelots français de l’avoir mis tout à fait en pièces pour faciliter l’enlèvement. Le tout à fait caractérise bien l’esprit de l’écrivain dont nous avons indiqué les qualités et les défauts. Tout autre, qui n’aurait point eu sa passion secrète et son parti pris, se serait aisément représenté ce qui a dû se passer. Pour déplacer le vase encore intact, pour préparer le chemin par lequel on devait le conduire jusqu’à la mer, il a fallu fouiller et remuer le sol, abattre les buissons au milieu desquels, d’après Ross, se cachaient les débris du vase brisé ; les morceaux de celui-ci, peut-être encore rapprochés, ont pu dans le coure de ce travail se détacher et tomber chacun de son côté. Voilà en quoi consiste cette prétendue destruction. Quant à l’épithète de brigandage appliquée à l’enlèvement du grand cratère, M. von Loeher a pris soin de se réfuter lui-même : nul n’a

  1. Sur les détails de cette opération, on pourra consulter une intéressante relation insérée en 1867, par M. Magen, dans le Recueil des travaux de la société d’agriculture, sciences et arts, d’Agen.
  2. Ross, p. 170. Von Loeher, p. 284 : in Trümmer gebrochen. Plus loin : diese wurde von den Matrosen vollends in Trümmer geschlagen.