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ce village que M. Lang avait employé comme contre-maître. Le pauvre homme, à fouiller pour son compte ou pour celui d’autrui, avait gagné quelque argent ; mais, devenu vieux, il eut la faiblesse de céder tout son bien à ses enfans. Il comptait sur leur reconnaissance ; ceux-ci furent ingrats et le laissèrent dans le dénûment. Pour comble de malheur, il avait eu l’imprudence de se porter caution pour un de ses parens ; celui-ci n’ayant pas tenu ses engagemens, Hadji-Iorghi fut sommé de payer la dette. Il ne put s’acquitter ; le cadi de Dali le fit emprisonner à Larnaca. On l’y garda deux mois environ, puis de guerre lasse on lui ouvrit les portes de la prison. Le vieillard se mit en route pour son village. « Je le rencontrai, dit M. de Cesnola, assis sur une pierre, affamé, épuisé, brisé par le chagrin. Sa détresse fendait le cœur ; le peu d’argent que je lui donnai ne pouvait guérir sa blessure. Il arriva péniblement à Dali ; le lendemain, on le vit se lever et marcher à pas chancelans vers ces tombes qu’il aimait et dont beaucoup avaient été ouvertes par ses mains et lui avaient livré leurs trésors ; il voulait leur faire encore une visite. Le soir il ne rentra pas au logis. Au matin, on se mit à sa recherche. On le trouva accroupi dans un des caveaux funéraires, les genoux au menton, les yeux fixes ; il avait à la bouche une pipe d’où ses lèvres pâles et froides ne devaient plus jamais tirer de fumée. Le pauvre Hadji-Iorghi était allé rejoindre tout ce peuple des anciens morts dont il avait tant de fois remué les ossemens ; il était désormais à l’abri des rigueurs de la loi et des cruautés de l’ingratitude filiale. »


IV

Avec tous ces exemples sous les yeux, M. de Cesnola, actif et curieux comme il l’était, ne pouvait résister longtemps au désir de tenter, lui aussi, la fortune. Il commença par la banlieue de Larnaca, et ses fouilles lui donnèrent des résultats assez importans pour le mettre en goût. La plupart des monumens étaient de l’époque gréco-romaine. Des trois mille tombes environ qu’il dit avoir ouvertes pendant dix ans dans le voisinage de Larnaca, un très petit nombre lui parurent de la période phénicienne. Il en tira cependant un sarcophage de marbre en forme de couvercle de momie, tout à fait semblable à ceux que M. Renan a recueillis dans la nécropole sidonienne et rapportés au Louvre ; il en tira des vases d’albâtre et de marbre dont les bords portaient gravées de courtes inscriptions phéniciennes ; avec eux furent trouvées des poteries dont la décoration tout orientale offrait de curieux motifs d’architecture