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Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 31.djvu/647

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recevoir en échange un passeport. Enfin, pour couronner tout cet ensemble de mesures, le général Malet était nommé commandant de la place de Paris et de la 1re division militaire, avec les pouvoirs les plus étendus pour veiller à la réunion et à la sûreté des membres du gouvernement provisoire ; à cet effet, un crédit de quatre millions à prendre sur la caisse d’amortissement lui était ouvert.

Le sénatus-consulte contenait en outre une assez étrange disposition relative à l’envoi « d’une députation à sa sainteté Pie VII pour le supplier, au nom de la nation, d’oublier les maux qu’il avait soufferts et pour l’inviter à venir à Paris avant de retourner à Rome. » Quelle était la portée de cette disposition ? A quelle mystérieuse combinaison se rattachait-elle dans l’esprit de Malet ? Qu’attendait-il de la venue du saint-père à Paris ? Pourquoi cette invitation suspecte adressée au chef de la chrétienté par un gouvernement dont le chef était un déserteur à la solde des émigrés, et qui comptait parmi ses membres des royalistes comme MM. de Noailles et Montmorency ? La réponse à ces questions viendra plus tard ; on se contentera pour le moment de les poser, afin de ne pas interrompre la suite de ce récit.

C’était une idée fort ingénieuse que de faire du sénat le pivot de la conspiration. Malet ne fut pas moins bien inspiré dans la confection des autres documens apocryphes qu’il rédigea comme suite à son sénatus-consulte. On retrouve dans sa proclamation aux citoyens et aux soldats qui devait être affichée sur les murs de Paris les mots les plus propres à faire de l’effet sur la foule : affranchissement, régénération, humanité. Le morceau commençait ainsi : « Citoyens, Bonaparte n’est plus ! Le tyran est tombé sous les coups des vengeurs de l’humanité. Grâces leur soient rendues ! Ils ont bien mérité de la patrie et du genre humain… Travaillons tous à la régénération publique, pénétrons-nous de ce grand œuvre, qui méritera à ceux qui y participeront la reconnaissance des contemporains, l’admiration de la postérité, et qui lavera la nation aux yeux de l’Europe des infamies commises par le tyran. » Mais où le général Malet se montra vraiment supérieur, ce fut dans la rédaction des ordres de service destinés à chacun des officiers généraux qu’il avait résolu d’employer. Il y mit une telle précision, il sut leur donner une couleur si franche, un air si naturel, que ces officiers devaient nécessairement y ajouter foi. Le rôle que chacun aurait à jouer, les dispositions à prendre, les postes à occuper, la conduite à tenir en cas de refus d’obéissance, le mot d’ordre, tout était prévu, réglé, combiné de telle sorte que, le branle une fois donné, le mouvement devait s’étendre en quelques heures à toute la garnison de Paris.