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Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 31.djvu/652

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vérité, le plus gros morceau, aussi Malet se l’était réservé. La place était alors commandée par un homme peu susceptible de se laisser intimider ou séduire, le général comte Hullin, un des héros du 14 juillet, rallié comme tant d’autres à l’empire, après avoir pris une part active à la révolution. C’était un homme d’une haute stature et d’une force athlétique, que Napoléon avait sorti du rang et qui lui en était resté reconnaissant. Ayant beaucoup vécu parmi les « anarchistes, » il les distinguait rien qu’à leur air. Lorsque Malet se présenta place Vendôme, à son hôtel, il était encore couché ; Malet ne lui laissa pas le temps de s’habiller. Forçant la consigne, il entra d’autorité dans la chambre conjugale ; et, sans autre forme de procès, lui tint à peu près ce langage : « Je viens vous annoncer une triste nouvelle ; l’empereur est mort. Un sénatus-consulte, en date d’hier au soir, a aboli le gouvernement impérial, et je suis chargé de vous remplacer. J’ai même, ajouta-t-il, un devoir plus pénible à remplir, c’est de vous mettre provisoirement en état d’arrestation. » Hullin hésitait, tout cela ne lui paraissait pas très clair. Comme il allait ouvrir la bouche pour répondre, une voix, celle de Mme Hullin, qui était restée blottie sous les couvertures, et qui avait de là tout entendu, sortit tout à coup du fond de l’alcôve : « Mais, mon ami, dit cette voix, si monsieur doit vous remplacer, il doit avoir des ordres à vous communiquer. — En effet, s’écrie aussitôt Hullin, monsieur, où sont vos ordres ? — Mes ordres, répliqua Malet, les voici, et, le plus tranquillement du monde, d’un coup de pistolet il étendit le colosse à ses pieds.

Avec la même tranquillité, sans hâter le pas, sans donner aucun signe d’émotion, il redescendit l’escalier, sortit sur la place, reprit la tête de son détachement et se dirigea vers la porte de l’hôtel occupé par l’état-major. De ce côté, Malet avait bien pris ses précautions ; il s’était fait précéder d’une lettre qui enjoignait au colonel Doucet de mettre aux arrêts son subordonné, le commandant Laborde. Il se méfiait justement de ce jeune officier, qui passait pour avoir autant d’énergie que de dévoûment à l’empereur. Quant au colonel Doucet, il croyait, on l’a vu, pouvoir compter sur sa docilité. Ce fut précisément cet excès de confiance qui le perdit. Soit qu’il eût conçu quelque soupçon, soit pour toute autre raison, le colonel ne s’était pas pressé d’exécuter les ordres qu’il avait reçus ; il attendait. La première personne que Malet rencontra, comme il montait l’escalier, fut Laborde. Il l’interpella vivement et se disposait, sur son refus d’obéir, à l’arrêter ; même il avait déjà fait le geste de lui mettre la main au collet et se disposait à lui brûler la cervelle, quand le colonel Doucet, qui par bonheur avait vu le mouvement dans une glace, se jeta brusquement sur lui et para le coup.