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puis, cela fait, se rabat sur la place Vendôme et l’occupe. Regardez-le monter l’escalier du général Hullin frapper à sa porte, s’introduire dans son appartement, lui exprimer ses regrets, et, presque au même moment, lui brûler la cervelle. Évidemment l’empereur avait eu raison de donner à cet homme une maison de santé pour prison : il avait également besoin d’être surveillé comme dangereux et d’être soigné comme aliéné.

Cette conclusion, la seule qui se dégage sans effort de l’examen des pièces et de l’étude attentive de la figure du général Malet, n’était pas, on le pense bien, pour satisfaire ses apologistes. Après avoir dénaturé le caractère et les intentions de l’homme, il ne leur en a pas coûté beaucoup plus d’exagérer les proportions de l’affaire. D’un acte isolé, particulier, tout accidentel, ils ont fait un gros événement se rattachant par des liens étroits à l’état général de l’Europe, et qui aurait pu changer la face des choses en France. Ils ont essayé de prouver que les conjurés, une fois maîtres de la place, auraient fort bien pu se maintenir, grâce à la docilité des pouvoirs publics et de l’administration. Quant à l’empereur, il semble qu’ils n’aient pas plus tenu compte de lui dans leurs hypothèses que s’il avait été réellement mort. Ils n’ont pas été curieux de se demander ce que le général Malet et ses gardes nationales auraient pesé devant lui.

De telles conjectures appartiennent au domaine de la fantaisie pure et ne reposent sur aucun fondement sérieux. En effet, on l’a vu, tout le plan de la conspiration Malet roulait sur la nouvelle de la mort de l’empereur ; toutes les combinaisons imaginées par le général n’étaient que la suite et le développement de ce fait considérable. Réunion du sénat, sénatus-consulte, formation d’un gouvernement provisoire, proclamation aux citoyens et aux soldats, nomination d’un commandant en chef de l’armée de Paris, ordres du jour et de service adressés aux diverses autorités militaires, tout cet enchaînement d’actes apocryphes, si savamment combinés, se rattachait dans le système de la conspiration de 1812 à ce premier anneau. Or, cet anneau devait nécessairement se rompre au premier instant. Le bruit de la mort de Napoléon n’aurait pas été plus tôt répandu qu’il eût été démenti de cent côtés à la fois. Autre chose était de surprendre nuitamment la bonne foi d’un colonel, autre chose d’en imposer à tout Paris, fût-ce pendant un jour ou deux. A supposer que Malet se fût rendu maître de la place, combien de temps aurait-il pu soutenir son personnage ? Quelques heures à peine. A moins de supprimer complètement la poste, les journaux et les voyageurs, il était fatal qu’il serait démasqué, sinon le jour même, à tout le moins dès le lendemain. Il ne saurait y avoir de doute à cet égard. Malet lui-même n’en avait pas. Il savait