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guerre des classes. Sans doute ailleurs, en France, en Angleterre, en Italie, le socialisme existe ; mais du moins tous ceux dont il menace les intérêts se réunissent pour le combattre. Ce n’est qu’en Allemagne qu’on voit des groupes nombreux de personnes riches, nobles, instruites et pieuses, déclarer la guerre à la bourgeoisie. Les gentilshommes campagnards attaquent le capital, oubliant qu’il leur est indispensable pour améliorer leurs terres ; les professeurs déclarent que le chemin qui conduit à l’opulence passe tout à côté de la maison de force, et enfin des évêques conspirent avec des démagogues. Là seulement on voit ce spectacle étrange de gens qui, avec une frivolité aristocratique, se font un jeu de miner les bases de l’ordre social, dans l’intérêt prétendu de la morale et de la religion. Ce phénomène que signale ainsi M. Bamberger me paraît avoir deux causes : d’abord l’horreur de l’Einseitigkeit, ainsi que je l’ai dit, et chez quelques-uns l’esprit scientifique, en second lieu l’intérêt électoral. Quand deux partis sont en présence et qu’il s’en trouve un troisième qui dispose de beaucoup d’électeurs, c’est à qui lui fera le plus de concessions pour s’assurer son concours. Les socialistes ont eu sept cent mille voix ; faut-il s’étonner que les ultramontains et les féodaux tâchent d’avoir leur appui contre les libéraux, leurs adversaires actuels ? Quoi qu’en dise M. Ludwig Bamberger, de pareilles alliances se sont vues en tous pays.

On peut rattacher les origines du socialisme conservateur à Rodbertus-Jagetzow, parce qu’en effet c’est lui qui le premier a donné à la critique socialiste une base scientifique. M. de Bismarck faisait récemment à la tribune du parlement allemand l’éloge de ce. penseur solitaire, dont l’influence a été si grande, quoique, son nom ne soit pas arrivé jusqu’à la foule. On l’a nommé avec raison le Ricardo du socialisme. Son livre paru en 1842, Zur Erkenntniss unserer staatswirthschaftlichen Zuslände (Exposé de notre situation économique), contient déjà en germe les idées dont on s’est servi plus tard et qu’il a développées lui-même dans son autre ouvrage, Zur Beleuchtung der socialen Frage. Dans des fragmens de ses notes et dans une partie de sa correspondance avec Lassalle, publiés récemment[1], il montre lui-même pourquoi il peut se nommer conservateur. « Notre manière de comprendre le droit et la philosophie de l’histoire, écrit-il en parlant de Lassalle, était semblable, en ce que nous ne considérions pas la succession des formes sociales et politiques comme épuisée par l’établissement du régime constitutionnel ou du système représentatif. Nous étions tous deux

  1. Briefe von Ferdinand Lassalle an CarilRodbertus-Jagetsow, mit einer Einleitung von Adolph Wagner. Berlin, 1870. (Lettres de Ferdinand Lassalle à C. Rodbertus-Jagetzow avec une introduction d’Adolphe Wagner.)