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Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 31.djvu/700

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l’église évangélique ; mais les intérêts de l’état et de son ambition lui sont trop précieux pour qu’il les sacrifie facilement à ses croyances religieuses, et au surplus ses croyances sont tempérées par une sorte de scepticisme enjoué et bienveillant, qui se concilie à merveille avec le respect pour tous les cultes établis. M. de Bismarck est à certains égards le plus tolérant des hommes ; dans toutes les questions purement doctrinales, qui ne relèvent que de la conscience ou du for intérieur, il lui en coûte peu de ménager la liberté de son prochain. Il n’a point de préventions haineuses ; il aimait à causer avec Ferdinand Lassalle et il a goûté la conversation de Mgr Masella ; il comprend tout, et, comme le grand Frédéric, il désire que dans ses vastes états chacun puisse faire son salut à sa façon. Pascal se plaignait que les uns eussent du zèle sans science, les autres de la science sans zèle. Le Culturkampf a fait en Prusse le bonheur et la joie des zélés ignorans, qui voient dans la papauté la grande bête de l’Apocalypse, et des savans sans zèle, qui nourrissent un égal mépris pour toutes les religions positives et qui aspirent à en débarrasser à jamais le genre humain. Voilà des sentimens auxquels M. de Bismarck est absolument étranger. Il veut du bien à la science, mais il estime que la foi du charbonnier a du bon, que dans l’occasion elle vient en aide aux gouvernemens, qu’elle rend leurs sujets plus dociles et que les soldats qui sont le plus enclins à faire bon marché de leur vie sont ceux qui croient fermement à l’immortalité de l’âme. Quand il s’est brouillé avec Rome, M. de Bismarck n’a obéi qu’à des considérations personnelles et politiques. Le parti du centre catholique a pour chefs des hommes dont la figure et le langage sont fort antipathiques au chancelier ; leurs intentions lui sont suspectes, et ils exercent à la cour auprès de certaines personnes une action secrète qui excite toutes ses méfiances et qui, le cas échéant, pourrait mettre en péril son autorité. D’autre part, il soupçonnait ce parti et ses chefs d’être peu favorables à l’unité de l’Allemagne et d’entretenir de sourdes intelligences avec les particularistes. Il a éprouvé le besoin de défendre contre eux sa situation personnelle et son œuvre qu’il croyait menacée, son habit et sa chemise. Or M. de Bismarck n’attend jamais qu’on l’attaque, il porte toujours les premiers coups. Pour se défendre avec plus d’avantage, il a pris l’offensive, et les lois de mai ont été votées.

Non-seulement M. de Bismarck n’éprouve à l’égard du catholicisme aucune aversion irréfléchie ou raisonnée, il est porté à croire que le nouveau dogme proclamé par le dernier concile n’est pas un obstacle insurmontable à la bonne entente entre le siège apostolique et les gouvernemens, que c’est aux hommes d’état d’apprendre à s’en servir, à en tirer parti pour l’accomplissement de leurs desseins. Le comte Arnim, qui le connaît bien, nous paraît avoir pénétré sur ce point sa véritable pensée. « L’idée d’un pape infaillible en possession d’un pouvoir absolu, nous dit-il, n’est point antipathique au prince de Bismarck. Au