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contraire, son idéal est un pape autocrate qui se mettrait complaisamment à son service. Il n’a aucune sympathie pour les épiscopats nationaux et indépendans ; car son ambition suprême, qui est le non plus ultra des humaines ambitions, est de voir réunies toutes les forces matérielles et morales dans les mains de trois empereurs et d’un souverain pontife, qui se laisseraient docilement conduire par le chancelier de l’empire germanique[1]. »

Lorsqu’il s’aperçut que ses impérieuses sommations et les lois de mai avaient manqué leur effet, il se ravisa. Il se souvint du proverbe qui assure qu’il vaut mieux avoir affaire à Dieu qu’à ses saints, et il se dit que ce serait pour lui un vrai coup de partie que de se réconcilier avec le pape et de s’en faire un allié contre tous les ennemis occultes ou déclarés de sa personne et de ses projets. Si le saint-siège avait pu se décider à se faire représenter à Berlin par un nonce, si ce nonce avait reçu pour instructions d’agir de connivence en toute occasion avec M. de Bismarck et d’exiger que le parti du centre, se transformant en parti gouvernemental, votât toutes les lois, toutes les mesures proposées par le chancelier de l’empire, c’eût été une grande humiliation pour M. Windthorst et ses amis, un prodigieux succès pour l’homme qu’ils n’aiment pas et dont ils s’efforcent de miner le pouvoir. Du jour où M. de Bismarck eut conçu ce hardi dessein, il se tint prêt à négocier. M. de Varnbühler nous disait en 1869, alors qu’il était président du conseil dans le royaume de Wurtemberg : « Un homme d’état protestant est toujours bien placé pour négocier avec Rome, car il a ce grand avantage qu’on ne peut pas lui reprocher d’être un mauvais catholique. » A la vérité le pape Pie IX n’avait pas craint de comparer M. de Bismarck à Attila, fléau de Dieu ; mais la cour de Rome ressent moins d’horreur pour Attila que pour les mauvais catholiques, elle préfère les fléaux aux tièdes, aux indifférens, aux demi-fidèles et aux faux amis.

Malheureusement Pie IX était un mystique, et on ne traite pas avec les mystiques ; ils ont un doux entêtement, qui résiste à toutes les insinuations, et en toute rencontre ils invoquent la volonté du ciel, dont ils sont les confidens. La situation devint plus favorable quand Pie IX eut été remplacé sur le trône pontifical par un pape qui n’est point un mystique et qui avait pour secrétaire d’état le cardinal Franchi, lequel ressemblait fort peu à son prédécesseur, le cardinal Antonelli. Dans une page de ses brochures, le comte Arnim s’est plu à mettre en parallèle ces deux secrétaires d’état. Il prétend qu’on a beaucoup surfait le cardinal Antonelli, il le traite de « grande incapacité méconnue » et affirme qu’à force de s’occuper de ses collections de minéraux, de ses cristaux et de sa très nombreuse et très médiocre famille, il avait

  1. Der Nuntius kommt ! Essay von einem Dilettanten, p. 63.