On dit que, parmi tant de romans dont le seul nom réveille dans nos mémoires le souvenir de quelque émotion forte ou de quelque vision gracieuse, s’il en est un que M. Cherbuliez préfère et pour lequel il conserve une prédilection paternelle, c’est l’Aventure de Ladislas Bolski. Du moins n’est-il pas douteux que ce fût le plus dramatique, et celui qu’il devait être le plus tentant de transporter du livre sur la scène. Ne contenait-il pas en effet ce que le drame réclame d’abord, l’éternel élément tragique, toujours le même et toujours nouveau, la lutte intérieure du devoir contre l’entraînement et les sophismes de la passion ? Telle scène, comme par exemple l’entrevue de la comtesse de Liévitz et du comte Ladislas Bolski dans la prison, n’était-elle pas déjà tout entière dans le roman et déjà calculée pour l’optique du théâtre ? Et les caractères eux-mêmes, le caractère de la comtesse de Liévitz, de la comtesse Bolska, de Conrad Tronsko, ce caractère d’une invention si originale où le scepticisme méprisant de l’homme qui a beaucoup vu se confondait, par une suite insensible de dégradations si parfaites, avec l’éternelle espérance du patriote, n’avait-il pas déjà cette unité, cette rapidité de décision, cette force et cette teneur de volonté, cette habitude enfin de maîtriser les circonstances et de briser les obstacles qui précisément est le propre des héros du drame ou.de la tragédie ? Si d’ailleurs cette allure tragique manquait au personnage du comte Ladislas, il a suffi, pour la lui donner, de quelques modifications très légères.
C’est précisément ce qui nous dispensera d’imposer au lecteur la fatigue d’un compte-rendu dans les règles. Il repassera le roman[1] dans sa mémoire, il le reverra dans l’effacement du souvenir, et si seulement
- ↑ Voyez la Revue du 1er et du 15 avril, du 1er et du 15 mai, du 1er juin 1869.