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pourquoi refaire ici la trame du symbole ? Vous connaissez ce mythe charmant, les tendresses de l’époux et de l’épouse, la défense faite à l’épouse de chercher à voir le visage de l’époux, les ravissemens, le trouble, l’inquiétude de la jeune femme, ce supplice délicieux et douloureux, ces souvenirs de béatitude assombris tout à coup par d’effroyables doutes, tant d’amertumes mêlées à tant de douceurs, le besoin de connaître altérant le besoin d’aimer ; enfin la curiosité ardente bravant toutes les défenses, dédaignant toutes les menaces, Éros furtivement entrevu à la lueur d’une lampe sacrilège, le mystère profané, le dieu courroucé, le dieu prononçant l’arrêt terrible qui condamne la mortelle éperdue ! C’est la chute, c’est la faute originelle qui pèsera sur la destinée entière de Psyché, à moins que le ciel ne consente à lever un jour la malédiction.

Le poème de Psyché est divisé en trois chants : le premier retrace les ivresses du pur amour, les angoisses du doute et les affres de la chute ; le second met en scène l’abandon de la veuve, son exil, sa fuite, ses élans à la poursuite de l’invisible, cette soif de l’infini qui la dévore, ses courses en Orient, son désespoir aux bords de l’Euphrate, sa captivité en Égypte, son arrivée en Grèce, ses nobles entretiens avec Homère, avec Platon, ses remercîmens et ses adieux au divin sage entouré de beaux adolescens qui recueillent avidement ses paroles :

… Je pars, fidèle à l’invisible amant,
J’emporte le flambeau de ton enseignement,
Le plus pur dont un homme illuminant mon doute
Vers l’être que je cherche ait éclairé ma route,
Et m’ait fait voir sans trouble et sans obscurité
Le bien et la sagesse au fond de la beauté.


Elle part donc, elle va toujours, toujours, car du fond de l’abîme où l’a précipitée sa chute, il faut qu’elle remonte vers les hauteurs célestes, et sur chaque degré de l’échelle d’or, que de pleurs, que de lamentations, que d’appels désespérés à celui qu’elle aime ! Au troisième chant sont réservées les grandes mélodies du pardon et les peintures éblouissantes du dieu perdu et retrouvé.

Assurément, il y a là bien des idées chrétiennes sous le voile d’un mythe hellénique. N’est-ce pourtant qu’un rapprochement ingénieux entre la fable grecque et la religion du Christ ? Un examen attentif du poème de M. de Laprade ne permet pas cette interprétation. Voilà bien, revêtus d’autres images, les mystiques symboles du paradis perdu : l’humanité séparée de Dieu et chassée de l’Éden, le tourment séculaire de l’âme, le gémissement perpétuel des générations, l’effort incessant vers l’infini, l’idée d’une condamnation originelle et d’une libération suprême. Oui, mais quelles