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différences dans le détail ! M. de Laprade à cette date avait des croyances très personnelles où le christianisme n’intervenait que comme un des grands fermens de la vie morale au sein des sociétés humaines. M. Michelet, bien des années plus tard, préoccupé de la bible de l’humanité, cherchera cette bible dans l’Inde ; M. de Laprade, vers 1840, la trouvait dans le monde grec. Il était certes bien loin de la pensée chrétienne lorsqu’il montrait Psyché, au troisième chant du poème, glorifiant sa faute et sa chute, bénissant cet orgueil sacré, cette curiosité sainte, cette volupté fière et libre, première cause des épreuves à la suite desquelles l’audacieuse pécheresse a reconquis son dieu :

J’ai bien maudit ma lampe et ma clarté nouvelle,
Car en moi la douleur s’introduisit par elle.
L’heure où je l’allumai reçut un nom fatal ;
La science passa pour la mère du mal,
Et de l’orgueil sacré la terre fit un crime.
Mais pour le ciel conquis, pour notre hymen sublime,
Pour le flot de splendeur qui m’inonde aujourd’hui,
Je bénis cet orgueil, car tout est né de lui !
Désirs, brûlans désirs de sentir, de connaître,
Par qui Psyché monta vers les sources de l’être ;
Orgueil, ô volupté ! soifs des biens infinis,
Vous, blasphémés jadis, enfin soyez bénis !
Du triste genre humain le malheur vous accuse,
Mais le désir demeure et la souffrance s’use.
Désirs, vous êtes saints, car saint est votre but,
Et l’Olympe après tout vous doit payer tribut.
A travers tous les maux l’homme est né pour vous suivre ;
Avant vous j’existais et vous m’avez fait vivre !
Dans la première nuit je ramperais encor,
Orgueil et volupté, sans vos deux ailes d’or !


Ces beaux vers sont le centre même de l’œuvre. Le poème de Psyché, nourri de sentimens que peut réclamer l’Évangile, est, au fond un symbole antichrétien, ici, aucun sauveur, aucun rédempteur, comme l’entend le christianisme ; l’humanité seule suffit à consommer l’expiation et à remporter la victoire. C’est l’humanité seule qui pousse le cri de délivrance : « O mort, où est ton aiguillon ? » C’est l’humanité seule qui dit aux apparences : Tombez ! Au mal et à la douleur : Evanouissez-vous ! A l’antique opposition du ciel et de la terre : Sois pour jamais détruite !

Il n’est plus qu’un seul monde et ce monde est le ciel.


Ballanche, en ses poèmes grecs et ses mystiques rêveries, Antigone, Orphée, la Palingénésie sociale, se bornait à interpréter