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mystérieuses terreurs, ici des clairières, des percées lumineuses, de vastes espaces ouverts au travailleur joyeux et l’abondance des fruits bénissant le labeur opiniâtre. Si le poète chante trop complaisamment la mort du vieux druide qui se frappe lui-même de sa faucille d’or, il chante surtout le jeune forestier, fils des Celtes, mais Français du fond du cœur et chrétien du fond de l’âme. Ce jeune gars, ce sera le fiancé de Pernette, la fille de Jacques, et tous deux seront l’honneur du Forez. Dans ce délicieux poème de Pernette, les conceptions de M. de Laprade, toujours un peu vagues jusque-là, un peu monotones, même sous leur forme rectifiée, prennent décidément un corps. Autrefois, en célébrant ses montagnes chéries, les montagnes d’Hermia par exemple, avec leurs forêts de pins semblables aux piliers des cathédrales gothiques, il ne disait pas où il les plaçait. Etaient-ce les Alpes du Dauphiné, les Alpes de la Savoie ou de la Suisse ? Aucune indication à ce sujet ; une seule fois, il lui arriva de nommer la Jungfrau. Ses amis seuls savaient qu’il avait fait ses premières courses alpestres dans la haute partie de la Savoie, entre Sallenches et Chamounix. Michelet, qui a commencé, lui aussi, par ces contrées grandioses, ses études sur les montagnes, nomme dès la première page de son livre tous ces lieux où il a vécu, Saint-Gervais, Combloux, Notre-Dame-de-la Gorge ; M. de Laprade se gardait bien de citer leurs noms, comme s’il voulait assurera ses Alpes vierges je ne sais quelle grandeur indéterminée. Dans Pernette, au contraire, les montagnes prennent un nom réel, comme les idées prennent une forme humaine. Franz, Henrman, Conrad, tous ces êtres plus ou moins abstraits, disparaissent ; voici Jacques, le rude laboureur, le vaillant soldat de l’an II ; voici sa fille Pernette, le trésor de la ferme ; voici la douce Madeleine et son fils Pierre, voici le vieux curé austère et plein de grâce, voici le bon docteur, le bon conseiller, avec sa malice inoffensive et son joyeux sourire. Les montagnes, naguère encore sans nom, ce sont les montagnes natales du poète, les cimes et les bois du Forez, le plateau de Pierre-sur-Haute, tout couvert de fraises, d’airelles, de noisettes, tout sillonné de limpides ruisseaux. Quant au récit lui-même, il n’y a pas un lettré qui ne le connaisse. La France n’a plus à envier à l’Allemagne son chef-d’œuvre d’Hermann et Dorothée ; grâce, grandeur, poésie familière, réalité charmante, souplesse et solidité du style, nous avons tout cela dans Pernette, nous avons le même chef-d’œuvre et quelque chose de plus.

Quelque chose de plus ? Oui, sans doute, la religion du patriotisme et ses saintes colères. Quand l’invasion commence, en 1814, les réfractaires qui ont résisté à des pressions odieuses prennent les armes pour repousser l’étranger. Ce sont là les grands jours, les jours tragiques de Pierre et de sa fiancée Pernette. Le