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chargées de statuer sur ses intérêts temporels et sur les demandes de subsides que lui faisait le roi. Cela tient à ce que cet ordre ne s’était pas contenté, depuis un demi-siècle avant les états-généraux de 1614, de la représentation intermittente et précaire qu’il obtenait dans ces diètes nationales, il avait su s’assurer pour lui-même des garanties qu’avait en vain réclamées la nation par ses députés. Le clergé eut ses assemblées à lui, assemblées périodiques et régulières qui veillaient à la défense des immunités de l’église, traitaient avec le prince presque de puissance à puissance, lui imposaient des conditions chaque fois qu’il réclamait leur assistance pécuniaire, luttaient contre les envahissemens de l’autorité royale et empêchaient celle-ci de se substituer à la leur dans la gestion des biens ecclésiastiques. Alors que le roi disait : « L’état, c’est moi, » et regardait le pays comme son patrimoine personnel, ne permettant pas aux mandataires de la nation librement choisis de contrôler ses actes, le clergé avait gardé dans ses mains l’administration de ses propres affaires et ne négligeait rien pour empêcher les magistrats et les agens du pouvoir royal de s’y immiscer, n’en sollicitant l’intervention que pour faire consacrer son autonomie. Fort du prestige qu’il devait à son caractère sacré et de la souveraineté qu’il exerçait en matière spirituelle, s’appuyant sur le saint-siège, dont les décisions faisaient souvent échec à l’omnipotence du roi, le clergé était bien autrement armé pour résister à la monarchie absolue que les deux autres ordres. Voilà pourquoi il ne tomba jamais à l’égard du prince dans cette sujétion à laquelle furent réduits, aux deux derniers siècles de l’ancien régime, le tiers et la noblesse. Le monarque dut compter avec les députés du clergé, et, s’il fit des efforts pour soumettre l’église comme il avait soumis les gentilshommes et les roturiers, il ne parvint pas cependant à lui arracher son autonomie ; il ne réussit qu’à obtenir des assemblées ecclésiastiques des concessions temporaires et à leur imposer pour la volonté royale une condescendance qui n’en réservait pas moins les droits de l’église. Le clergé jouit jusqu’en 1789 d’une indépendance fort supérieure à celle qu’avaient les seuls corps laïques qui ne s’humiliassent pas constamment devant le trône, les parlemens.

Il arriva donc qu’au sein de la grande nation, obéissant docilement aux commandemens du monarque, se forma comme une petite nation, vivant à part, libre dans ses rapports avec le pouvoir souverain, jalouse de ses privilèges, ayant sa constitution reconnue, son système représentatif particulier, son administration séparée et ses tribunaux distincts, répartissant l’impôt qu’elle avait au préalable consenti, tenant au gouvernement royal un langage que le reste de