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la nation n’osait plus parler. Cette petite nation, dans le silence de la grande, rappelait au monarque ses devoirs de prince très chrétien, tout en protestant envers lui d’une fidélité qui était subordonnée à sa soumission à l’église, car elle lui opposait une autorité supérieure à la sienne, celle de Dieu.

Les choses de l’ancien régime sont aujourd’hui si fort oubliées que la plupart des Français ne savent guère en quoi consistaient les assemblées du clergé. Les historiens en mentionnent quelques décisions célèbres, mais ils ne nous disent pas l’organisation de cette représentation ecclésiastique ; ils n’en ont pas relaté les vicissitudes. C’est cependant un sujet curieux que le rôle joué par ces assemblées dans les événemens du temps, l’influence qu’elles ont exercée sur la politique et l’administration de l’église gallicane. Il est intéressant de rechercher dans quelle mesure elles ont pu entretenir ou réveiller le sentiment du droit national. Telles sont les questions que je veux essayer de traiter à l’aide des documens originaux que ces assemblées nous ont laissés. J’ai compulsé les volumineux procès-verbaux de leurs séances. Le rapprochement des faits qu’on y rencontre avec les données de l’histoire générale est plein d’enseignemens. J’ajouterai qu’un tel sujet ne laisse pas d’avoir son à-propos ; à cette heure où l’on parle tant de l’esprit clérical, il est utile de mettre en lumière ce qu’on peut en appeler les monumens. La vie politique et intérieure du clergé français telle que nous la montrent les débats et les actes de ces assemblées nous instruit mieux sur l’esprit dont il était animé que des énonciations rebattues qui se sentent toujours un peu des opinions préconçues de leurs auteurs.


I

Le clergé, au moyen âge, n’était pas seulement une grande puissance dans l’ordre moral et politique, c’était encore une grande puissance terrienne. Il disposait de ressources matérielles considérables qui s’accroissaient incessamment par la libéralité des princes, les dons et les legs des fidèles, grâce aussi à une administration plus intelligente et mieux ordonnée que celle des seigneurs laïques. Une fois que le christianisme fut devenu la religion de l’empire, les empereurs affectèrent à l’église des biens dont le revenu était destiné à assurer le service de Dieu, la subsistance de ses ministres et le soulagement des pauvres ; ils dispensèrent les évêques, les prêtres et les moines de certaines taxes imposées au reste de leurs sujets ; ils consacrèrent comme un privilège la dîme que les ouailles