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I

La Grèce moderne a contre elle la courte durée de son existence de nation et les commotions terribles qui ont précédé, accompagné et suivi sa naissance. La Grèce est née blessée. Elle a dû panser ses plaies en même temps qu’elle constituait son organisme. — Tous les praticiens reconnaîtraient que ce sont là de détestables conditions pour la croissance.

C’est en 1830 que l’autonomie a été donnée à la Grèce, après trois siècles et demi d’esclavage, après dix années de guerre acharnée contre les Turcs. Le royaume hellénique ne fut définitivement constitué que deux ans plus tard, en 1832, quand la guerre civile était venue ajouter ses horreurs aux calamités de la guerre étrangère. Le sol était ruiné, les villes en décombres, la population décimée. Le sabre et la torche avaient tout détruit. Plus d’agriculture, plus de commerce, pas d’argent, des familles affamées errant sur l’emplacement des villages en ruines. Tout à faire, et à faire dans l’instant. Une administration entière à créer, et son personnel à recruter soit parmi les Bavarois venus avec le nouveau roi, objets d’animadversion pour les Grecs jaloux de leurs droits nationaux, soit parmi les Hellènes, héros de la guerre de l’indépendance, plus habitués aux fatigues et aux périls des champs de bataille qu’au travail des bureaux. Une armée de soldats et une armée de fonctionnaires à entretenir et à payer, l’instruction publique à fonder, des routes à tracer, des travaux de toute sorte à exécuter : le chaos à organiser.

La Grèce se trouvait obligée de faire face aux dépenses d’un grand état avec des ressources nulles. On commença, avec la garantie des trois puissances protectrices, la Russie, l’Angleterre et la France, par négocier un emprunt de 60 millions de drachmes. Mais sur ces 60 millions, la Grèce toucha à peine 15 millions, défalcation faite des pertes de l’emprunt adjugé à 94 pour 100, de l’escompte bonifié aux adjudicataires, des frais de commission, de l’indemnité payée à la Turquie et autres frais de guerre, des dépenses de la régence bavaroise de 1832 à 1835 et du transport et de l’entretien des troupes allemandes pendant cette période, enfin des sommes affectées à l’amortissement de la dette. Or, bien qu’il ne lui restât que 15 millions de cet emprunt, la Grèce a dû payer les intérêts sur 60 millions, à 6 pour 100, de telle sorte qu’elle payait en réalité des intérêts au taux de 24 pour 100. De plus, sur ces 15 millions combien peu qui ont servi, alors que tous les élémens de l’administration étaient à organiser et que l’état n’avait encore que des revenus dérisoires, à développer les forces vives