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prévalut quelques années avec Kolettis. La Russie s’en vengea en prenant parti pour la Turquie dans un incident diplomatique qui aurait pu avoir les plus funestes conséquences, l’Angleterre en réclamant brutalement et injustement une indemnité de 800,000 drachmes pour des dommages illusoires subis par un sujet anglais, le juif Pacifico. L’affaire alla, on le sait, jusqu’au blocus du Pirée et à la capture de deux cents bâtimens grecs qui ne furent jamais restitués. Grâce à la médiation de la France, l’indemnité fut réduite à 33,000 drachmes, que la Grèce fut forcée de payer, bien qu’elle n’en dût pas la moitié. Le blocus d’Athènes fut levé, mais par l’effet de ce blocus le commerce grec avait subi un coup dont il fut longtemps à se remettre. C’était une façon spéciale à l’Angleterre et à la Russie de comprendre leur rôle de puissance protectrice. Elles étaient protectrices de leur influence pour servir à des ambitions ultérieures. Quant à la Grèce, elle pouvait bien se protéger elle-même !

Il faut le dire à l’honneur de la France, qui au congrès de Berlin a la première pris la défense de la Grèce, la France a eu de tout temps en Grèce, sinon toujours un rôle d’amie, toujours du moins un rôle désintéressé. La question d’Orient, dont la Grèce est un des problèmes depuis 1832, n’est point pour la France, comme pour l’Angleterre et pour la Russie, une question vitale. Bien que le parti russe ait autrefois compté en Grèce les plus nombreux adhérens, les Grecs ne se dissimulaient pas que leur protectrice la plus sincère était la France. Avec les Anglais et les Russes, les Grecs jouaient au plus fin. Ils se trompaient mutuellement. La Grèce feignait de servir les intérêts de ces deux nations, mais elle ne pensait qu’aux siens propres ; les Anglais et les Russes promettaient l’agrandissement futur de la Grèce, mais ils ne cherchaient qu’à trouver dans les Grecs des alliés pour un conflit éventuel. Entre la France et la Grèce, il n’y avait pas tous ces intérêts en jeu ; aussi il y avait plus de vraie sympathie, et plus de franchise dans les rapports. Si depuis 1855 à 1867 l’influence de la France l’a cédé en Grèce à l’influence russe, la cause en est dans l’occupation du Pirée en 1854-57 (occupation dont les Grecs nous ont longtemps gardé rancune) et surtout dans le mauvais vouloir constant pendant toute cette période des représentans de la France à Athènes. On a dit d’un homme de grand talent qu’il se lève tous les jours à quatre heures du matin pour se faire des ennemis. Il fut un temps où on aurait pu dire que la France payait très cher des diplomates pour entretenir de mauvaises relations avec les gouvernemens auprès desquels ils étaient accrédités. — Depuis une dizaine d’années d’ailleurs, l’antagonisme des partis a cessé. Après la fin de l’insurrection de Crète, pendant laquelle la Russie n’a pas assez masqué ses