Montcalm est alors dans toute la maturité de son esprit. Il se détache parmi ses camarades comme un bronze antique parmi des plâtres. Ce petit homme, au nez en bec d’aigle, à l’allure toute de vivacité et de résolution, arrête irrésistiblement le regard. De tous les portraits qu’on a de lui, le meilleur c’est une petite aquarelle que l’on conserve à la Marine. Il est dans son uniforme bleu de tous les jours. La tête est vraiment belle ; une expression de grandeur morale et de volonté s’accuse dans les traits. Le front est haut, large, vaste, comme chez nombre d’hommes de guerre du grand siècle, penseurs en même temps que généraux. Les lignes de la bouche, légèrement relevées aux coins, portent la marque d’une bonté un peu austère. Les contours du visage sont mâles et forts. Les yeux sont admirables d’expression et d’éclat ; en réalité ils illuminent le visage. Un Huron, plein de respect pour la force corporelle et, comme tous les sauvages, très bon juge en physionomie, définissait bien l’impression que laissait ce regard, quand, voyant pour la première fois le marquis et frappé tout d’abord de la taille de celui-ci, il s’écriait : « Ah ! que tu es petit ! » puis, recevant aussitôt l’impulsion magnétique de ces yeux, reprenait brusquement : « mais je vois dans ton regard la hauteur du chêne et la vivacité des aigles. »
Au feu, il est magnifique : brillant, fougueux, calme, selon les vicissitudes du combat. Il sait communiquer aux troupes la flamme qui le dévore. Pour mener une charge, il n’a pas son pareil. Et comme il sait reconnaître le point faible de l’ennemi ! Il a aussi le sens d’organisation de l’administrateur et le tact, la finesse pénétrante du diplomate. Avec cela de la bonhomie, une grande vivacité, une gaîté franche et communicative qui le rendait séduisant au plus haut point. Et par-dessus tout ce je ne sais quoi de haute race et d’altier qui impose tout en s’alliant merveilleusement à la grâce des manières.
Mais la profonde originalité de ce caractère, c’est le souffle moral qui est comme l’inspiration de ses actes et le secret de sa force. Ce chrétien est au fond un stoïcien achevé. Après la bataille de Plaisance, il a un mot tout de piété en apparence, tout stoïque en réalité : « J’ai été sabré… mon fils aura été bien touché. La religion nous sert. » Cette allure de l’esprit n’est pas chez lui une invention de la volonté pour donner à la physionomie l’impassibilité du bronze ; c’est un mystère de nature. Tout ce qu’il a d’orgueil, il l’emploie à se raidir contre les souffrances de la vie ; cette âme antique, égarée dans un siècle de légèreté et de corruption élégante, est bien la sœur des Plélo et des Vauvenargues. Comme eux, Montcalm est possédé du besoin de se montrer supérieur aux choses de la terre. Comme eux, il pourrait prendre pour devise :