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Sillery, la gauche se recourbant jusqu’au chemin de Sainte-Foy. A en juger par l’étendue du front, par la masse des réserves, il devait y avoir de six à sept mille hommes. Quelques éminences, appelées les buttes à Neveux, abritaient les soldats de Wolf contre le canon de la ville. Les Anglais remuaient déjà de la terre ; on voyait sur leurs lignes les pionniers et les sapeurs, la pelle à la main, commencer les terrassemens des fortifications de campagne.

Montcalm, contrairement au récit de la plupart de ses biographes, ne se jeta pas en casse-cou sur l’ennemi. Il retarda le combat dans l’espérance d’un secours, qui lui fit défaut. Il attendait Bougainville et expédiait dépêche sur dépêche à Vaudreuil pour qu’on lui envoyât le reste des troupes laissées à la garde du camp, qui ne pouvait être attaqué. Espérant arrêter les travaux anglais, il lançait en avant un rideau de tirailleurs canadiens et sauvages. On était en présence depuis huit heures et demie du matin ; il était dix heures et demie. A l’horizon, rien : Bougainville ne paraissait pas ; Vaudreuil restait muet. L’ennemi grossissait de plus en plus ; il amenait sans cesse du canon. Les retranchemens, que Wolf faisait élever sur ses derrières, dessinaient déjà un profil accusé. Il n’y avait donc plus à hésiter ; il fallait jeter les Anglais dans le fleuve, ou mourir. Montcalm donna l’ordre de l’attaque.

Il avait à sa droite un taillis qui s’étendait en avant ; à sa gauche, le pays, coupé de buttes et de broussailles, était favorable à des partisans. Il plaçait donc quinze cents Canadiens à sa droite et le reste à la gauche. Il mettait au centre les cinq bataillons de ligne, avec des tirailleurs canadiens en avant. Les troupes s’ébranlaient avec beaucoup de décision et d’entrain. « Mais après quelques pas, dit le major Joannès, le petit bouquet de bois servit de retraite aux Canadiens, qui laissèrent marcher seuls les cinq bataillons. Les pelotons irréguliers, qui étaient en avant, eurent à peine le temps de se retirer et de rentrer dans leurs corps, ce qui amena de la confusion et du flottement dans le rang. » Cependant le général Wolf, sentant que la retraite était impossible, se promettait de s’accrocher au sol ; il faisait mettre deux balles dans les fusils, avec ordre de ne tirer que lorsque les Français seraient à quarante mètres. Les troupes de Montcalm firent quelques décharges de loin et sans trop d’effet. Montcalm voulait dissiper l’ennemi avec la baïonnette. Les Français avançaient rapidement, quand, à quarante pas de leurs adversaires, ils furent reçus par des décharges si meurtrières que la droite plia et entraîna le reste. Wolf sut habilement profiter de ce moment de consternation ; il se mit à la tête de ses grenadiers et conduisit une charge sur la gauche des Français, qui, rompue, prit la fuite. Pendant cette manœuvre décisive, Wolf, déjà blessé au poignet, était atteint d’une seconde balle qui lui traversa