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vainement à la recherche d’un gouvernement stable, une minorité peut très bien, à la faveur de telle ou telle circonstance, faire des révolutions politiques ; ce qu’elle ne saurait faire, c’est une révolution sociale. Toutes les tentatives dans ce sens, quelque propice que parût le moment, en 1871 comme en 1848, ont absolument et rapidement échoué. Et cela, pourquoi ? Parce que la grande majorité des habitans, dans les campagnes surtout, au lieu de se croire intéressés au renversement de l’ordre social actuel, se sentent intéressés à sa conservation.

La diffusion de la propriété peut seule expliquer toute notre histoire contemporaine, expliquer la stabilité de notre régime social en face de la fragilité de tous nos gouvernemens et au milieu de toutes nos commotions politiques, expliquer le prompt rétablissement de l’ordre matériel après chaque révolution dans un pays moralement si troublé. C’est cette diffusion de la propriété foncière ou mobilière qui fait en France la force avec la raison d’être du suffrage universel, c’est elle qui en modère les écarts et en tempère les entraînemens, elle, en un mot, qui jusqu’ici a servi de frein à la souveraineté populaire. Un état où la propriété eût été le privilège d’une faible minorité, aristocratique ou bourgeoise, n’eût pu se gouverner trente ans avec le suffrage universel. Si aujourd’hui la république a des chances de s’implanter définitivement dans notre sol, cela tient toujours à la même raison. La propriété sous ses deux formes et avec elle la richesse ou le bien-être semblent déjà assez démocratisés pour que la France ose se donner des institutions démocratiques, car partout le gouvernement et l’ordre politique tendent fatalement à se modeler sur les lois civiles et l’ordre social.


III

Après avoir étudié la répartition du sol et les conditions de la propriété, le prince Vasiltchikof, dans son second volume, tourne son attention vers l’homme, vers le travailleur. Cet examen lui fournit les élémens d’une thèse déjà présentée en Occident, sous des formes bien diverses. Jusque-là le prince moscovite avait cherché à procéder par induction et passé des faits habilement groupés à des généralisations plus ou moins légitimes ; ici il change subitement de méthode, procède hardiment par a priori et pose comme aphorisme un principe d’où il déduit toute une théorie sociale, sauf à en démontrer après coup la vérité à l’aide d’exemples plus ou moins bien choisis.

Le travail de l’homme, dit notre auteur, peut être appliqué à deux