Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 32.djvu/147

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fait avec elle les mêmes progrès en langue indienne. Elle promet d’être un trésor de bonté et de docilité. On devait s’y attendre, sachant à quelle rude école d’obéissance et de travail sont élevées les femmes de la pampa. Le petit garçon donne aussi des espérances. La vieille fée qui prétendait être sa mère affirmait en même temps que c’était un parent du cacique Namuncurá. Comme le gamin n’a pas quatre ans et qu’elle en a au moins quatre-vingts, si même elle n’est pas contemporaine des sorcières de Macbeth, la fausseté évidente de la première assertion doit inspirer des doutes sur l’authenticité de la seconde. En tout cas, voilà une généalogie qui risque de n’être jamais tirée au clair. J’ai sur lui vraiment des vues bien autrement ambitieuses ! Sa laideur est sympathique, surtout depuis que son ventre baisse et que ses pauvres bras grossissent ; il comprend à demi-mot, il a la vivacité d’un singe et les câlineries d’un jeune chien. Après s’être époumoné à brailler quand il quitta son abominable duègne, ce qui est la marque d’un bon cœur, il leva sur moi des yeux déjà confians au premier chiffon de pain que je lui présentai, ce qui prouvait un estomac peu sérieusement délabré. Deux jours après, il était des nôtres. Gâté à qui mieux mieux par les travailleurs, bourré de vivres, promené à cheval à tour de rôle par mon nègre et mon gaucho, qui allaient le baigner au lac voisin, il ne voulait pas entendre parler de ses frères. Tout Indien soumis qui venait au camp lui inspirait des terreurs folles. Il lui semblait qu’il venait le chercher. Qui peut deviner ce que sera un jour ce petit bonhomme pratique ? Il est probable qu’il fera peu de cas de la philosophie spéculative et qu’il n’inventera jamais rien. Le goût de l’abstraction et la puissance créatrice paraissent refusés à sa race ; mais il pourrait se faire qu’il eût une facilité étonnante, pour s’assimiler les découvertes des autres et en tirer judicieusement parti. Combien de gens de mérite n’ont jamais fait autre chose !

La tribu de Catriel, comme tribu de guerre, n’existait plus. Quelques Indiens vinrent se livrer les jours suivans, comprenant que tout était fini. Nous avions laissé dans les toldos un vieillard et une vieille femme avec quelques vivres. Ils étaient chargés d’annoncer aux survivans que quiconque se soumettrait aurait la vie sauve et des rations. A notre arrivée, le docteur Alsina choisit parmi les prisonniers deux des Indiens dont la famille était la plus nombreuse. C’étaient des ambassadeurs dont, le retour était assuré. Il les dépêcha à Catriel avec un message où il lui enjoignait de se rendre sans conditions, s’il ne voulait pas voir les derniers restes de ses gens anéantis dans une poursuite à outrance. J’appris peu de jours après à Patagones, car je revins par mer et allai explorer les