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Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 32.djvu/148

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bords du Rio-Negro, la frontière future[1], que le cacique était campé près d’un poste chrétien du Rio-Colorado, à cent lieues au moins de Puan. Il avait sollicité des rations. On dut faire, pour les lui fournir, un recensement de la tribu. Elle ne comptait plus, tout compris, que cinq cent quatre-vingt-cinq âmes. Cela ne représentait pas quatre-vingt-dix lances. C’était à peu près le dixième de l’effectif qu’elle présentait deux ans auparavant, lorsque, ayant à lui distribuer des terres, j’avais eu entre les mains un état exact des membres qui la composaient. Ses tentatives désespérées d’invasion, des privations inouïes et notre récente attaque avaient enlevé à Catriel, chose effrayante ! les neuf dixièmes de ses sujets. Je me souvins alors que, dans les premiers momens qui avaient suivi leur départ de Niévas, j’avais entendu le ministre de la guerre, justement alarmé et irrité de leur défection, s’écrier qu’il la leur ferait pleurer avec des larmes de sang. Il leur avait tenu parole plus cruellement qu’il ne le pensait et, probablement qu’il ne le désirait lui-même.

Il n’y avait plus qu’à persévérer dans la voie tracée par ce beau début. Ce fut fait sans délai. De Puan même, le docteur Alsina envoya par le télégraphe l’ordre au colonel Villegas d’opérer vivement contre le cacique Pinzen, campé à l’extrême nord de la nouvelle ligne. On en nettoyait les deux extrémités avant de s’attaquer au centre, au gros morceau, au cacique Namuncurá. Le rusé Pinzen avait gagné au large. Il s’était retiré au nord-ouest, on ne savait pas au juste où il s’était réfugié. Cela ne sauva point sa tribu. Le colonel Villegas avait depuis longtemps pris pour devise et inscrivait volontiers en tête de ses instructions à ses subalternes cet axiome trop méconnu, qu’il n’y a pas de cavalerie sans chevaux. Il poussait jusqu’à la minutie les soins prodigués aux siens. Il n’eut pas à le regretter. Supérieurement monté, il put fouiller la pampa à fond, dénicher Pinzen et le surprendre. L’affaire fut à peu près une reproduction de la nôtre. Il y eut même cette analogie de plus que le cacique parvint à se sauver avec quelques lances. Dans les premiers jours de janvier 1878, et avant que les taons ne devinssent insupportables, vint le tour de Namuncurá. Attaqué par le colonel Levalle avec des forces venues de Puan, de Carhué et de Guamini, il a perdu cent hommes, et on lui a fait plus de deux cents prisonniers. La tolderia, fort vaste, n’a pu être complètement investie. Le reste de la tribu s’est enfoncé sans retourner la tête dans les profondeurs du désert.

Le triomphe contre Namuncurá a été pour le docteur Alsina un triomphe posthume. Ce voyage aux postes avancés de la ligne avait

  1. On prépare en ce moment la translation de la ligne au Rio-Negro.