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bien une image carrée dans chacune d’elles, représentant l’ouverture lumineuse, et mieux accentuée dans le second œil que dans le premier. Mais à la lumière toute image disparut, car les rayons lumineux conservent toujours leur propriété décolorante.

Encouragé par ces succès, Kühne entreprit de photographier des objets plus compliqués. Il fixa un lapin vivant de telle sorte que ses yeux regardaient une fenêtre ou un châssis vitré, et le laissa pendant trois minutes dans cette position. L’animal fut décapita, l’un des yeux mis dans de l’alun ; il ne présentait à ce moment aucune image. L’autre œil, laissé en place, fut traité aussi par l’alun, quelque temps après la mort. Après vingt-quatre heures de séjour dans la solution, le premier œil ne présentait rien qu’une tache blanchâtre ; le second œil, au contraire, présentait l’image parfaite de la fenêtre qu’on avait voulu photographier. Ce résultat devait être attendu, car l’on sait que la première condition de la formation des optogrammes est la non-compensation de l’action de la lumière par la fonction purpurogène de la rétine.

Mais les conditions où se sont faites ces expériences sont des conditions artificiellement réalisées. L’optographie ne serait donc qu’une expérience de laboratoire ? Néanmoins Kühne a voulu pousser plus loin ses recherches et savoir si un œil mort, resté en place, exposé au jour, peut recevoir la photographie des objets vers lesquels il est dirigé. Les conditions dans lesquelles se feront ces photographies, s’il s’en fait, seront absolument réalisables dans la pratique journalière. Une tête de lapin, fraîchement coupée, fut exposée pendant dix minutes au milieu d’un laboratoire éclairé où le jour pénétrait librement, et dirigée vers, une fenêtre. L’œil fut traité par l’alun comme d’habitude, et lorsque la rétine fut mise à découvert, l’image était parfaitement dessinée. L’expérience est des plus concluantes : l’optographie existe. Kühne ne doute pas de la possibilité d’obtenir des photographies plus compliquées, des paysages, et des portraits. La chose serait possible, en tout cas, une négation serait trop absolue.

Il y a certainement des difficultés à vaincre et des problèmes à résoudre avant que l’on puisse compter sur des optogrammes obtenues en dehors de l’expérimentation des laboratoires : l’on ne saurait nier toutefois qu’un grand progrès ait été réalisé. Jusqu’où la science ira-t-elle dans cette voie ? C’est ce que l’avenir nous apprendra.


HENRY DE VARIGNY.