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passions qu’il remettra en présence, les conflits qu’il ravivera peut-être, la crise qu’il rouvrira certainement. Car enfin il n’y a pas à s’y tromper ce serait une crise ouverte au moins pour plusieurs mois, et la première difficulté serait de savoir comment l’affaire s’engagerait, comment elle serait instruite. Jusqu’ici il y a eu une enquête ; mais c’est une enquête toute politique, électorale, poursuivie plus ou moins correctement en dehors des usages et sans les garanties d’une justice régulière. Le jour où le sénat serait légalement saisi par une mise en accusation formelle, il aurait à son tour à recommencer une véritable instruction judiciaire ; il aurait des témoins à faire comparaître, des documens sans nombre à recueillir, à apprécier, la vérité à ressaisir à travers les commérages que suscitent les luttes d’élections, les rivalités locales, les compétitions personnelles ; il aurait à batailler sur les interprétations plus ou moins abusives qu’on a pu donner à des décrets, des circulaires, des lois contradictoires. Et c’est gratuitement, sans un intérêt évident, supérieur, qu’on irait s’engager dans ce fourré où l’on cheminerait entre la violence et le ridicule, au risque d’une crise ministérielle inévitable, peut-être d’une crise de gouvernement !

Il n’y a qu’une chose évidente, c’est que cette affaire a déjà trop duré. Le vrai jugement du 16 mai, c’est le pays qui l’a prononcé ; c’est tout ce qui est arrivé depuis près d’un an, c’est cette série d’élections et d’incidens qui ont transformé tous les pouvoirs, modifié absolument la situation. Revenir aujourd’hui sur tout cela par une sorte d’acharnement de parti, ce ne serait plus qu’une dangereuse superfluité. Vainement désormais on se donnerait des airs de juges, on n’a plus devant soi des accusés, on n’a que des adversaires politiques qu’on peut combattre, si l’on veut, avec des armes politiques. Il faut en prendre son parti, et si l’on veut voir les choses avec quelque sang-froid, il n’y a plus même à se donner la maigre consolation d’un débat parlementaire rétrospectif qu’on dénouerait, comme on le dit, par un ordre du jour de flétrissure. On serait bien avancé ! À quoi cela servirait-il ? Des votes de flétrissure, il y en a eu dans tous les temps, sous l’influence de quelque exaspération de parti. Quelle était la sanction de ces représailles bruyantes, de ces violences de langage ? Quel en a été le plus souvent le résultat ? Les votes de flétrissure parlementaire n’ont jamais flétri ceux qui avaient à les subir ; ils ont quelquefois pesé moralement sur ceux qui les avaient provoqués ou qui s’y étaient trop complaisamment associés. Franchement, renouveler de ces votes sans portée pour le plaisir de mettre encore une fois sur la sellette ce qui n’est plus, serait-ce sérieux ? Est-ce de la prudence politique ? Et qu’on le remarque bien : il en est ainsi de toutes ces questions qu’on soulève, qu’on agite avec une ardeur factice et à l’aide desquelles on affaiblit tout, on tient tout en échec.