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Question de l’amnistie, question de la mise en accusation du 16 mai, question du retour des chambres au Palais-Bourbon et au Luxembourg, pressions exercées sur le gouvernement, prétentions agitatrices du conseil municipal de Paris, enquête sur la préfecture de police, c’est avec tout cela qu’on crée cette atmosphère troublée, cette incertitude, ce malaise qu’on a reproché à M. de Marcère d’avoir constaté. Il faut évidemment en finir avec ces confusions, et le ministère s’honorerait en prenant une sérieuse initiative, en montrant aux chambres le danger des incohérences parlementaires, en se rendant compte à lui-même de la nécessité d’une politique précise et résolue. Cette nécessité le ministère la sent, et il doit la faire sentir autour de lui. Il n’y a plus de temps à perdre pour redresser une situation qui, si elle se prolongeait, deviendrait désastreuse et stérile, d’autant plus désastreuse que sous toutes les formes les intérêts publics sont pressans. Il y a les relations commerciales de la France à régler ; il y a la réorganisation de l’armée à poursuivre et à conduire jusqu’au bout, en dehors de toutes ces pressions de parti auxquelles M. le ministre de la guerre n’est vraiment pas tenu de se soumettre ; il y a les questions les plus graves qui sont la juste préoccupation de M. le ministre des finances et qui ne peuvent être résolues dans des conditions incertaines. Que le ministère ne craigne pas d’agir avec dérision, d’aller droit aux difficultés, il sera certainement soutenu, Si on ne se décide pas sans plus de retard a revenir aux affaires sérieuses, on aura beau triompher, proclamer la république définitive et éternelle, on n’aura rien fait. Il n’y a de gouvernemens durables et définitifs que ceux qui savent gagner la confiance du pays par leur sagesse et assurer à tous les intérêts nationaux la protection d’une vigilance active et féconde.

Ce monde d’aujourd’hui aux destinées si incertaines ne vit pas seulement de politique, de guerres qu’on dit civilisatrices, d’agitations diplomatiques ou parlementaires, il vit aussi par l’esprit, par les arts, par toutes les cultures libérales, et, si affairé qu’il soit, il se sent particulièrement atteint lorsqu’il voit disparaître ceux qui sont le mieux faits pour représenter l’esprit avec honneur. En peu de jours les lettres françaises viennent d’avoir leurs deuils successifs ; elles ont perdu coup sur coup deux hommes, deux écrivains d’élite, dont l’un du moins semblait promis à une plus longue existence. À peine M. Silyestre de Sacy venait-il de succomber à un mal que l’âge rendait implacable, une mort soudaine, inattendue, nous a enlevé en un instant un de nos plus anciens, un de nos plus chers compagnons de travail à cette Revue, M. Saint-René Taillandier. L’un et l’autre honoraient notre pays par le talent autant que par l’aimable droiture du cœur et du caractère ; l’un et l’autre ont eu la carrière la mieux remplie, et en cessant de vivre, ils emportent l’estime aussi bien que la sympathie douloureuse de leurs