Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 32.djvu/244

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Dès le début de son ouvrage, il nous fait voir combien de questions douteuses ont été éclaircies par les dernières conquêtes de l’érudition. Avant de nous montrer, dans ses prolégomènes, comment la monnaie a été inventée, il remonte jusqu’aux temps où on ne la connaissait pas et où l’on essayait d’y suppléer. Ces temps nous sont beaucoup plus familiers qu’ils ne l’étaient aux savans d’autrefois. Par exemple, depuis que nous lisons les hiéroglyphes et l’écriture cunéiforme, nous avons pénétré dans ces deux grandes civilisations mystérieuses de l’Égypte et de l’Assyrie. Nous savons de quelle manière les Assyriens et les Égyptiens remplaçaient la monnaie dont ils ne connaissaient pas l’usage. Ils avaient adopté de bonne heure les métaux précieux, surtout l’or et l’argent, comme le moyen d’échange le plus commode et le plus sûr ; mais c’était pour eux une marchandise ordinaire ; on pesait à chaque fois la poudre d’or ou le lingot qui devait servira payer ce qu’on achetait[1]. Les Assyriens pourtant étaient un peuple intelligent, inventif ; ils n’avaient rien négligé pour faciliter les relations commerciales. Parmi les inscriptions qu’on a retrouvées dans les ruines des palais babyloniens, on a pu lire des lettres de change ou plutôt de véritables chèques, écrits, suivait l’usine du pays, sur des sortes de petites tuiles ou de gâteaux d’argile molle qui ont été ensuite mis dans le four, de manière à devenir inaltérables et indestructibles. Comment se fait-il que dans une civilisation si avancée, où l’on semblait si désireux de rendre les transactions plus faciles, quand on créait le mécanisme compliqué de la lettre de change, on ne se soit pas avisé de l’idée beaucoup plus simple de remplacer le lingot par la monnaie régulière ? Nous n’en devons pas être plus surpris que de voir les Grecs si ingénieux, les Romains, dont l’esprit était si pratique, ne pas arriver à trouver l’art de l’imprimerie, quoiqu’ils s’en soient tant de fois approchés. C’est en Grèce qu’on imagina de donner pour la première fois à des morceaux de métal d’un poids régulier une empreinte officielle qui garantit leur valeur. « Dès lors, dit Aristote, on fut délivré de l’ennui de continuels mesurages, » et la monnaie fut créée.

Dans la monnaie antique, M. Lenormant étudie d’abord la matière, c’est-à-dire le métal dont elle est faite. Une des premières questions qu’il se trouve amené à traiter est celle du simple ou du double étalon monétaire qui nous préoccupe tant aujourd’hui. Elle n’était pas étrangère aux anciens, et les économistes feront bien de chercher dans le

  1. « Encore aujourd’hui, dit M. Lenormant, la Chine nous présente un état de choses tout à fait analogue qu’il est intéressant de comparer. Le cuivre en sapèques y est la seule monnaie marquée d’une empreinte officielle, ayant cours légal mais à côté de l’emploi de cette monnaie, il y a une grande circulation d’or et d’argent, d’argent surtout, en lingots, à l’état de marcliandise. C’est avec ces lingots que s’opèrent la plupart des transactions commerciales, dès qu’elles ont quelque importance. »