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livre de M. Lenormant comment ils l’avaient résolue ; ils pourront trouver dans le passé des leçons qui ne seront pas inutiles au présent. A propos des alliages de métaux, M. Lenormant nous entretient des altérations de monnaies dont l’antiquité abusa comme le moyen âge. Elles furent d’abord une invention de la fraude privée, et devinrent ensuite une ressource des états embarrassés. Rome surtout s’en servit largement. Elle commence à l’époque des guerres puniques, après la bataille de Trasimène, à mêler des pièces fourrées aux pièces régulières qu’elle répand dans le public. À ce moment, les nécessités patriotiques justifiaient ce manque de foi ; mais, le danger passé, on trouva le moyen commode, et on continua d’en user. Cette sorte de banqueroute permanente dura jusqu’à l’établissement de l’empire. Auguste revient à la monnaie sincère, ou plutôt il ne fait plus frapper de monnaie fausse que pour l’exportation. Il ne veut plus tromper ses sujets, mais pour les étrangers il n’a pas les mêmes scrupules, et l’on retrouve encore aujourd’hui dans l’Inde des quantités considérables de deniers à l’effigie d’Auguste qui sont tous altérés. Les empereurs qui vinrent après lui reprirent les habitudes de la république ; ils firent frapper des écus faux qu’ils distribuèrent aux Romains aussi bien qu’aux autres, et trompèrent tout le monde. M. Lenormant a très bien montré quelles furent les suites fâcheuses de toutes ces fraudes. Les Romains n’avaient pas de peine à distinguer la mauvaise monnaie de la bonne ; ils gardaient avec soin cette dernière, pour la thésauriser ou la fondre, et l’autre était seule en circulation. Dans tous les trésors qu’on a trouvés, il n’y a pas une pièce fausse.

Après avoir traité de la « matière » dans la monnaie antique, M. Lenormant s’occupe de « la loi, » c’est-à-dire du caractère officiel que lui donne l’empreinte qu’elle porte. Cette étude importante remplit tout son second volume, et je prévois que ce volume sera celui dont les historiens feront le plus d’usage. Le droit de battre monnaie a été partout regardé comme un attribut de la souveraineté. Dans les royaumes, il appartient au roi ; dans les pays divisés comme la Grèce, chaque ville se l’attribue. Il arrive pourtant qu’effrayées de leur morcellement, elles essaient de se réunir pour résister à l’ennemi commun, qu’elles forment des alliances et des ligues, et que leurs monnaies en portent la trace. On peut dire qu’on suit sur celles de la Grèce toute l’histoire douloureuse de ces efforts avortés. L’étude de la monnaie romaine, considérée sous le rapport de la loi, c’est-à-dire du droit de monnayage, contient encore des renseignemens curieux. Quoiqu’elle fût émise au nom de la république, par les soins du sénat et des premiers magistrats, on avait pourtant permis aux généraux en campagne d’en faire frapper aussi dans leur camp ou dans les villes qui leur étaient soumises pour subvenir aux nécessités de la guerre. C’est ce qui forma