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Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 32.djvu/293

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connaître aux Grecs venaient de la Syrie et de la Phénicie, il faut en conclure qu’ils les avaient tirées de la Perse ou de l’Inde, dont ils étaient voisins. Elles ne sont donc pas originaires de la Grèce, et c’est un fruit du dehors qu’on a transplanté sur le sol grec. Il est vrai « qu’il a trouvé le terroir lui bon qu’il y a admirablement bien pris racine. » Voilà, en quelques mots, l’opinion d*Huet sur l’origine des romans.

Cette question, qui a semblé longtemps résolue, un érudit allemand, M. Erwin Rohde, professeur à l’université d’Iéna, vient de la reprendre, dans un livre intitulé le Roman grec et ses devanciers, auquel l’Allemagne savante a fait un très bon accueil. Ses conclusions sont bien différentes de celles d’Huet, mais il les appuie de tant de preuves qu’il nous paraît difficile de les contredire et que cette fois le débat semble définitivement vidé.

M. Rohde commence par circonscrire son sujet, et, pour éviter toute équivoque, il indique d’abord très nettement ce qu’il appelle le roman grec. Ce mot de roman est moderne, et, pris dans son sens le plus étendu, il peut s’appliquer à des ouvrages très différens, qui n’ont pas une origine commune. M. Rohde le réserve à ces narrations fabuleuses qui furent écrites dans la seconde moitié de l’empire romain, et dont l’amour est le principal intérêt, comme l’Histoire d’Habrocome et d’Antheia, par Xénophon d’Éphèse, et le Daphnis et Chloé de Longus[1]. Ce ne sont certes pas les seuls récits romanesques qu’aient produits les littératures antiques ; elles en avaient d’autres, et probablement de bien meilleurs : telles étaient, par exemple, ces fables milésiennes, si légères, si piquantes, qui plaisaient tant aux oisifs, que les gens du monde lisaient avec fureur, que les généraux emportaient dans leurs valises quand ils partaient pour leurs expéditions lointaines. D’après les échantillons qu’Apulée et Pétrone en ont conservés, on voit qu’elles devaient ressembler aux Contes de La Fontaine. M. Rohde n’en méconnaît pas le mérite, mais elles lui semblent des nouvelles plutôt que des romans. Il est donc bien entendu qu’il ne donne ce dernier nom qu’aux ouvrages de Longus, de Chariton, d’Iamblique, d’Héliodore, et que ce sont les seuls dont il s’occupe à chercher l’origine. — Le dessein de son livre est de prouver qu’ils ne viennent pas de l’Orient, comme le croyait Huet, et qu’ils appartiennent entièrement à la Grèce.

La preuve n’était pas facile à fournir. Les derniers siècles de la

  1. M. Chassang, dans son Histoire du roman, a pris au contraire ce mot dans sa signification la plus large, et l’applique aux narrations fabuleuses de tout genre que l’on trouve dans l’antiquité grecque et latine. C’est ce qui fait différer son livre, si savant d’ailleurs et si utile, de celui de M. Erwin Rohde.