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Encore faut-il remarquer que les seuls Francs l’ont acceptée tout entière, au lieu que les autres ont rejeté le mystère de la Trinité, comme impie et contraire au dogme de l’unité divine. Rien ne les a pu déterminer à courber la tête devant l’église romaine : Théodoric savait qu’en continuant à nier l’égalité du père et du fils il mettait son empire en péril, et il a persisté ; à la veille d’être attaqué par Clovis, le roi burgonde Gondebaud, à qui ses évêques ont mis pour ainsi dire le marché en main, se résigne avec une profonde tristesse à courir un danger dont il mesure toute la grandeur, plutôt que de croire, comme il dit, à trois dieux. Cependant ces rois étaient entourés de catholiques : Cassiodore était auprès de Théodoric, Avitus auprès de Gondebaud ; ils parlaient ou, tout au moins, entendaient la langue de l’église. Combien plus longue n’a pas dû être la résistance des barbares demeurés en terre barbare, à qui des inconnus venaient prêcher le catholicisme ! Représentez-vous ces hommes demeurés fidèles au culte de la nature, adorant les forces mystérieuses, le tonnerre qui les épouvante, l’eau bienfaisante qui coule des fontaines, la terre nourricière, le chêne, qui chaque année reverdit, et qui, étant séculaire, passe pour immortel. Des missionnaires arrivent : ils profanent les bois sacrés dont les barbares révèrent l’ombre et le silence ; ils mettent le bât sur le cheval blanc, qui rend des oracles dans le temple de Swantvit, Dieu de la sainte lumière, et la cognée au pied du chêne dont les branches, agitées par le vent, révèlent aux hommes la volonté du ciel. Ils déclarent que ce culte vénérable, qui a été celui de nos ancêtres aryens, est œuvre d’enfer et de damnation, et, en échange, ils apportent les mystères d’un Dieu sorti d’une vierge, d’un éternel qui naît, d’un immortel qui meurt, d’un fils aussi vieux que son père, d’un crime avec lequel on naît et que lave l’eau du baptême. Entrez dans l’intelligence de ces barbares : comprendrez-vous ?

Souvent les missionnaires ne savent pas même la langue de ceux auxquels ils s’adressent. Ils parlent par signes, par mise en scène, par la croix qu’on porte devant eux ou par des représentations figurées des mystères. Cet enseignement par l’aspect n’était pas plus intelligible. Les missionnaires qui savent se faire comprendre trouvent-ils toujours les paroles qu’il faut dire ? Sans doute, quand ils sont intelligens et dirigés par l’admirable pape Grégoire VI, qui, dans ses curieuses instructions aux prêcheurs des Anglo-Saxons, enseigne l’art de ménager la transition entre les coutumes anciennes et la foi nouvelle ; mais on ne rencontrait point chez tous les apôtres la modération ni la flexible intelligence qu’il fallait pour une si délicate besogne. Adalbert, par exemple, dit aux Prussiens qu’il vient pour les arracher des gorges de l’Arverne, mais les