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diplomatique. Le Grec comprit qu’il fallait changer dénote : alors, ajoute discrètement le chroniqueur russe, se poursuivit une conversation secrète.

Enfin Boris, suffisamment édifié sur les faits et gestes du roi de Pologne, aborda la question délicate du patriarcat, et son interlocuteur d’applaudir vivement au pieux projet du tsar Féodor. Cet enthousiasme était bien naturel : l’habile ministre avait proposé à brûle-pourpoint à Jérémie, — nous verrons tout à l’heure avec quelle sincérité, — d’être le premier patriarche de l’église russe. N’était-ce pas là un rêve bien fait pour tenter le pauvre voyageur qui mendiait sur les chemins de quoi rebâtir la petite maison que les aghas toléraient encore dans l’ombre du Phanar ? Au lieu de cette église, qui n’avait plus que le nom d’œcuménique, de ce siège précaire où il officiait sous l’œil des janissaires, on lui offrait à la droite du tsar le glorieux trône de Moscou, les libres cathédrales du Kremlin, la primauté sur la Sainte-Sophie de Kiew, légitime héritière de celle de Byzance. Derrière lui les vaines ombres du passé, toutes voilées de misère et d’esclavage ; devant lui l’avenir et l’espoir de l’orthodoxie régénérée. — Ainsi l’érection du nouveau patriarcat, sujette à tant de difficultés si on l’eût présentée à l’Oriental comme une institution rivale, emportait son assentiment en lui ouvrant des horizons inespérés de grandeur. Ce n’était là que la première habileté de Boris, et le Grec s’aperçut bientôt que sa diplomatie avait été prise en défaut. À peine le ministre du tsar eut-il surpris le consentement du prélat sur la question de principe qu’il lui déclara comment, dans la pensée de son maître, le siège patriarcal devait être établi à Vladimir. Jérémie se récria en démontrant que la place du premier pasteur était auprès du souverain, qu’on abaisserait singulièrement sa dignité en le reléguant dans une capitale abandonnée, loin du Kremlin et de l’église primatiale de la Vierge. Mais c’était précisément cette église et ce fidèle troupeau de Moscou qu’on ne pouvait, au dire de Boris, enlever au vénérable évêque Job, qui les sanctifiait depuis si longtemps ; il serait difficile à un étranger, ignorant la langue et les usages russes, d’occuper le siège de Moscou ; il ne pourrait surtout diriger la conscience du tsar sans le secours d’un truchement, auquel on ne saurait livrer les mystères de la pensée souveraine. Au reste le ministre, maître désormais du consentement qui lui était nécessaire, le prit d’assez haut et reconduisit le pauvre prélat, désarmé par son adroite tactique.

Godounof n’avait jamais songé sérieusement à lui offrir le nouveau trône, malgré le prestige qu’une aussi illustre recrue semblait devoir assurer à l’institution. Si l’effet eût été grand à l’extérieur