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considérable ; il faut aussi qu’elles soient manœuvrées par des rameurs plus habiles, car c’est toujours sur les rames de l’arrière que se règle l’ensemble de la vogue. Voilà donc encore un texte qui nous laisse en suspens ; les partisans des systèmes les plus opposés pourraient l’invoquer avec une égale autorité. Jusqu’à présent nous n’avons rien rencontré sur notre route qui nous permette de supposer qu’il existât une différence quelconque entre la marine de l’antiquité et la marine du moyen âge. Poursuivons notre récit, les événemens qui vont se dérouler rapidement devant nous auront peut-être le don de nous éclairer.

Athènes, — l’enthousiasme le plus irréfléchi ne pouvait se le dissimuler, — allait s’engager dans une grosse aventure ; lasse de son bonheur, elle éprouvait le besoin de dépenser au dehors l’excès de ses forces. Sept années de repos avaient réparé en partie ses pertes, la peste n’était plus qu’un souvenir, et le trésor renfermait de nouveau 29 millions de francs. On se trouvait donc en mesure de faire face à toutes les levées d’hommes, de pourvoir à toutes les dépenses. Le peuple ne voulut rien refuser à ses généraux : L’armement ne fut pas seulement considérable ; il fut, dans toutes ses parties, complet. Rien ou presque rien ne parait avoir été oublié. On oublia donc quelque chose ? Involontairement ou à dessein, on oublia la cavalerie. Comment transporter des chevaux à une telle distance ? Il eût fallu avoir sous la main toute une flotte spéciale. Si Périclès eût vécu, cette flotte, on l’aurait probablement possédée ; Périclès mort, on laissa pourrir sur la plage les vieux bâtimens-écuries et on n’en construisit pas de nouveaux. Athènes ne songeait plus qu’à la guerre de montagne, à la guerre maritime ; rien de mieux ! Mais alors il ne fallait pas aller en Sicile. Le manque de cavalerie eut dans cette occasion des conséquences tout aussi funestes que dans l’expédition de Crimée, où l’absence de nos escadrons, dirigés, faute de moyens de transport, sur Andrinople, le jour même où les flottes alliées partaient de Baltchik, suffit pour rendre stériles les résultats de la glorieuse victoire de l’Alma.

L’enthousiasme avait été grand chez les Athéniens quand il s’était agi de s’enrôler ; il y eut de l’enthousiasme aussi dans le départ, enthousiasme différent toutefois, car le sentiment du péril inconnu pesait sur toutes les âmes, et le besoin de croire à la protection des dieux se trahissait jusque dans la foule par une gravité triste et solennelle. Quand tout fut prêt, les troupes s’embarquèrent et allèrent occuper les postes qui leur étaient assignés à bord des vaisseaux ; les trompettes sonnèrent, et l’on fit silence. Le héraut alors se leva, les cratères d’or et d’argent furent remplis à