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Gylippe accourt d’Ortygie pour attaquer ces trières vaincues ; Nicias se précipite, à la tête de ses troupes, pour les défendre. La nuit vient et sépare les combattans. Blessé mortellement, Eurymédon, avant d’expirer, a vu la déroute complète de son escadre. Les vaisseaux athéniens sont restés échoués sur les bancs que forme l’Anapos à son embouchure. Pendant qu’ils s’occupent de se remettre à flot et qu’ils se préparent à rejoindre l’abri de leurs palissades, les Syracusains ont rempli de sarmens et de poix un vieux navire de charge. Ils y mettent le feu et l’abandonnent au vent qui souffle alors du nord. Voilà donc le premier brûlot, le précurseur des barques incendiaires dont les gueux de mer firent usage au siège de Leyde, l’ancêtre incontestable des navires enflammés qui dispersèrent la grande Armada ! Voilà ce qu’est devenue, quatre cent treize ans avant Jésus-Christ, la torche d’Hector, cette torche qui va désormais passer de main en main, aux archevêques de Sourdis, aux Tromp et aux Ruyter, pour aller s’éteindre dans les eaux de l’archipel, au milieu des débris fumans des escadres ottomanes ! Les Syracusains ont allumé leur brûlot et ont laissé au vent le soin de le conduire. S’imagineraient-ils par hasard que c’est à si peu de frais qu’on incendie une flotte ? Il faut à ce jeu-là plus de risque, plus d’audace ; il y faut le cœur de nos capitaines du XVIIe siècle ou la foi guerrière d’un Canaris.

On inventera bien des bateaux-torpilles ; le meilleur sera celui qui sera conduit par un fou. Tel ferait triste figure en ligne qui fera merveille si on lui livre un de ces navires qu’il faut avant tout sacrifier. Deux marines à peu près distinctes, n’est-ce pas là ce qui exista jadis et n’est-ce pas encore ce que la différence des aptitudes requises nous contraindra peut-être un jour à reconstituer ? Le brûlot de Syracuse n’était pas même guidé par « un arithméticien ; » ce n’était qu’un trait lancé à distance par une main inhabile et sans force ; il alla se consumer inutile sur la plage où les Athéniens eurent peu de peine à le détourner.


V

La partie était évidemment perdue pour les assiégeans. Il ne s’agissait plus de savoir si l’on resterait sous les murs de Syracuse ou si l’on irait chercher fortune ailleurs. Ces délibérations étaient déjà oiseuses avant le funeste combat qu’on venait de livrer ; maintenant elles n’auraient plus eu d’objet. Les vivres étaient en partie épuisés, et on n’entrevoyait guère comment on s’y prendrait pour les renouveler. La seule question qui se pût encore agiter était celle-ci ; « Brûlerait-on la flotte et essaierait-on de faire retraite