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Jamais sans péril sur un élément qui leur était particulièrement rebeller Partis des ports de la Laconie, ils avaient été jetés, comme Ulysse, sur la terre des Lotophages. Ils n’auraient probablement pas retrouvé de longtemps le chemin de la Sicile, si les habitans de Cyrène ne les eussent recueillis. Les hoplites égarés trouvèrent dans cette ville deux nouvelles trières, et, ce qui était bien plus inappréciable encore, des pilotes. Les pilotes de Cyrène leur firent remonter à la rame la côte africaine jusqu’à la hauteur du cap Bon. Arrivés en face de Sélinonte, les vaisseaux déployèrent leurs voiles. Un trajet de deux jours, et une nuit les porta en Sicile. Des hoplites, je l’ai déjà dit, représentaient toujours une force de grande importance. Bien qu’ils fussent à pied, ce n’était pas la vulgaire pédaille du moyen âge ; il fallait plutôt voir en eux ces chevaliers sous les coups desquels s’ouvraient par larges trouées les bandes mal armées des communes. Avec le renfort que le ciel leur envoyait, les Syracusains se crurent en mesure de tout oser ; leurs généraux se disposèrent sans délai à reprendre sur terre et sur mer l’offensive. Il y avait quelques mois à peine que Syracuse aurait fait volontiers un pont d’or aux Athéniens ; maintenant Syracuse n’avait plus qu’une crainte : elle craignait que les Athéniens ne lui échappassent.

La flotte syracusaine se composait de soixante-seize vaisseaux, la flotte athénienne en comptait encore quatre-vingt-six ; mais les Syracusains possédaient des équipages valides ; les équipages, athéniens étaient harassés et minés par la fièvre.

Tout est en mouvement dans la baie ; les trières de Syracuse sont sorties du port. Eurymédon commandait ce jour-là l’ensemble des vaisseaux d’Athènes. Il s’élance en dehors de la double estacade, impatient de se donner du champ et de se mettre en mesure de manœuvrer. Eurymédon a combattu les Péloponésiens à Pylos ; il croit qu’il aura aussi bon marché de leurs vaisseaux en Sicile. L’essentiel, suivant lui, est de les déborder et de les acculer, s’il se peut, au rivage. Il rase de près la côte ; il étend sa ligne aussi loin que possible vers le nord. N’a-t-il pas la supériorité numérique et n’est-il pas de son devoir de chercher à envelopper l’ennemi qui s’avance de front à sa rencontre ? On n’enveloppe sûrement qu’une flotte qui hésite, des vaisseaux troublés qui s’arrêtent. Les Syracusains n’hésitent pas, ne se troublent pas, ne ralentissent pas un instant leur élan. Ils vont aux Athéniens tout droit et à toutes rames ; ce sont eux qui attaquent aujourd’hui, qui attaquent toujours, confians dans leurs proues qu’aucun choc n’ébranle, la tête en avant comme des béliers. Dix-huit vaisseaux tombent en leur pouvoir ; le reste de la ligne athénienne se débande et se jette pêle-mêle, dans le plus complet désordre, à la plage.