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II

C’est dans l’année 1658, Mazarin étant ministre, que cinquante Français, sous les ordres de M. Poincy, gouverneur de l’île Saint-Christophe, prirent possession au nom de la France de l’île Saint-Barthélemy ainsi que des dix îlots qui l’avoisinent et dont nous ne nommerons que les principaux : la Chèvre, la Frégate, les Deux-Boulangers et la Fourche. Les débuts de l’occupation ne furent pas heureux, car peu d’années après la conquête, une descente de guerriers caraïbes venus de Saint-Vincent et de la Dominique suspendit le développement de la colonie naissante. Malgré tout, en 1670 l’île était habitée par quatre cents blancs européens et cinq cents Africains, Quels hommes étaient ces quatre cents Européens ? De rudes compagnons, il est permis de le supposer, lorsqu’on sait qu’en 1637 Louis XIII nomma gouverneur de la Martinique un chef d’aventuriers du nom de Duparquet, et que trois ans après d’autres aventuriers venus des côtes de Normandie fondèrent Saint-Domingue. Ce qu’il y a d’étrange, c’est qu’il existe encore de nos jours, dans l’intérieur même de Saint-Barthélemy, un petit village du nom de Lorient, habité par une colonie que l’on assure être d’origine normande. On aime généralement à supposer aux Antilles que, comme les blancs aux yeux bleus des Saintes et de la Désirade, les blancs aux yeux bleus de Lorient descendent en ligne directe des fameux flibustiers normands qui au XVIIe siècle étonnèrent les deux mondes de leur audace » Lorient étant situé à huit kilomètres tout au plus de Gustavia, rien ne sera plus aisé que de nous assurer par nous-même, en nous y rendant, si ses habitans ont en effet gardé quelque chose du langage, de l’énergie et de la rudesse de leurs ancêtres. La manière la plus agréable d’aller au petit village de Lorient, c’est d’y aller pédestrement, le cigare de la Havane aux lèvres, le bambou à la main ; et cependant les chevaux de l’île Sainte-Barthélemy sont excellens, d’une sûreté de pied remarquable, d’autant plus remarquable qu’on ne les ferre jamais : demandez plutôt ; à nos officiers de marine qui, aussitôt à terre, s’empressent de les monter, au risque d’en descendre contre leur gré avec plus d’empressement encore. En laissant derrière soi les quais à fleur d’eau de Gustavia, on se dirige, vers le morne escarpé sur lequel s’élève le fort peu redoutable qui commande les abords de la rade. Par un grand soleil, l’ascension paraîtra pénible et la route poudreuse à l’excès ; mais, dès qu’on sera arrivé au sommet de l’âpre colline, on se sentira aussitôt rafraîchi par une délicieuse brise de mer et récompensé de