américains, deux contrées où la construction des voies ferrées avait été poussée alors avec une grande vivacité. Il en résulta naturellement une grande hausse des prix, et comme cette hausse, — qui donnait aux affaires l’apparence de la prospérité, — coïncidait avec une fièvre de spéculation intense, on se mit à construire des usines, ou du moins à ériger des hauts fourneaux et à agrandir les ateliers. Quand les nouveaux instrumens furent prêts à fonctionner, les commandes étaient devenues moins abondantes, et la concurrence des offres ne put que hâter la baisse, devenue inévitable. Si le monde civilisé avait été dans un état normal, la crise aurait été courte, un corps sain se débarrassant assez vite des principes morbifiques ; mais dans chaque pays le mal avait des complications particulières, de sorte que les affaires sont restées partout dans un état languissant.
Les deux pays de l’Europe où ces complications ont exercé l’influence la plus profonde ne sont pas, comme on pourrait le croire, la Russie et la Turquie, qui viennent de se faire une guerre aussi sanglante, mais l’Allemagne, qui a enfin atteint, après des luttes brillantes, le but vers lequel elle tend depuis si longtemps, et l’Angleterre, la contrée dont la richesse est proverbiale. On l’a souvent dit, les 5 milliards ont été pour l’Allemagne une robe de Nessus, ils en ont, pour ainsi dire, empoisonné le sang. Ce sont ces capitaux qui ont poussé la spéculation hors de toutes bornes, c’est l’abondance du numéraire qui a provoqué une hausse désordonnée des prix et des salaires. Ce n’étaient pas là des fluctuations comme on en avait déjà vu, où les oscillations se meuvent entre des écarts de 10 ou de 20 pour 100 ; certains salaires doublèrent, et au delà, en moins de deux ans. Ces hausses avaient pour cause naturelle une demande inouïe de travail ; elles furent surexcitées par la spéculation, qui faisait une concurrence écrasante à la production réelle, solide, mais si accablée de commandes urgentes, qu’aucun prix ne l’effrayait. Les ouvriers étaient fort demandés, mais avaient encore une autre raison pour être exigeans, c’est le désir d’avoir leur part du gâteau. L’agitation socialiste était alors dans toute sa force, et l’on peut dire dans tout son éclat. Aucune loi n’empêchait les réunions, les discours excitans ; les journaux et les brochures avaient le champ libre, des membres du clergé et des professeurs de faculté, des fonctionnaires même se constituaient les avocats des ouvriers. Ils profitèrent donc des conjonctures : ils furent mieux payés, travaillèrent moins et, on l’a officiellement reconnu, moins bien. Il a été démontré en même temps que, généralement, ils n’ont pas profité de la bonne aubaine pour améliorer leur situation. Les salaires élevés, si facilement gagnés, furent gaspillés en jouissances fugitives, les meneurs leur disant sur tous les tons que l’avenir était