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La production ne pourrait être augmentée, — ou on ne pourrait tenter de l’augmenter, — qu’en multipliant les frais ; or, comment y songer, lorsque les immenses quantités de blé que l’Angleterre est obligée d’importer empêchent les prix de s’élever au niveau des frais de production ? Aussi beaucoup de fermiers se décident à transformer leurs terres arables en prairies. Environ 400,000 acres ont déjà été retirés à la culture, et la tendance s’accentue. En Irlande, ce mouvement a déjà coûté 2 millions d’habitans au pays, dans l’Angleterre proprement dite, les effets commencent à se faire sentir dans certains comtés. Si les hommes que la campagne repousse, car les prairies exigent moins de travail que les champs, ne trouvent pas de l’occupation dans les manufactures des villes, et il paraît qu’on n’y a plus besoin de leurs bras, ils seront bien forcés d’aller peupler les solitudes de l’Amérique et de l’Australie.

Il importe peu, dira-t-on, où habitent les populations qui consomment les produits des fabriques anglaises, les moyens de transport ne manquent pas au royaume-uni. Des banlieues de Londres, de Manchester, de Sheffield et autres villes, les campagnes se sont étendues jusqu’en Australie, et leurs limites passent par l’Afrique méridionale pour revenir par l’Amérique du Nord. On ne compte donc pas avec les barrières douanières et avec la concurrence industrielle des pays qui s’y renferment. Les colonies ne se gênent guère pour traiter en étrangère même la mère patrie, et les États-Unis veulent bien envoyer en Angleterre des céréales, du coton, du tabac, mais ils ne tiennent pas à en recevoir en échange des tissus, des machines et autres productions manufacturières. Ils sont bien plus disposés à en offrir eux-mêmes à leur ancienne métropole, et cela « aux conditions les plus avantageuses. »

L’Angleterre a donc fort à faire pour rétablir l’équilibre entre la production industrielle et la consommation agricole, mais les États-Unis aussi ont à s’en préoccuper. Cela pourrait surprendre à première vue pour un pays qui dans ses vastes solitudes a de la place pour cent millions de colons et au delà. Mais le dénombrement de 1870 a révélé un fait d’une grande portée : le nombre des agriculteurs n’est pas dans une proportion normale avec les autres professions. Beaucoup d’Américains trouvent trop dur de cultiver la terre, ils abandonnent volontiers cette tâche aux émigrans européens et choisissent une carrière industrielle ou commerciale. De là est venu cet accroissement extraordinaire des villes que l’Europe admire comme une merveille, mais qui au fond n’est pas toujours un symptôme de santé. Pour qu’une ville de vingt mille âmes se forme en une année, il suffit par exemple de découvrir une source de pétrole. Si elle coule pendant deux ans, la ville présentera tous les