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typhus dit galopant, mais la peste, la vraie peste, la peste noire de Marseille, la peste bubonique de Jaffa.

Pour guérir cette redoutable maladie, nul remède n’est efficace. L’acide salicylique, la quinine, l’alcool, l’acide citrique, sont impuissans, quelquefois la mort est foudroyante et survient en vingt-quatre heures. Dans la plupart des cas la mort n’arrive qu’au bout de quatre ou cinq jours. Tout d’abord il y a beaucoup de cas de guérisons, mais peu à peu l’épidémie est devenue de plus en plus redoutable, si bien que sur cent malades il n’y en a guère que quinze qui guérissent. Plus que tous les autres, les médecins ont payé leur tribut à l’épidémie. Le docteur Morotof, médecin à Vetlianka, est mort. Le docteur Krassowski, qui a eu une partie de la direction médicale des armées pendant la guerre, et que le gouvernement avait envoyé pour étudier l’épidémie, est mort. Le docteur Koch et six de ses assistans sont morts[1].

Ainsi, lorsque le mal est déclaré, aucun traitement n’en peut entraver la marche fatale. Mais la médecine n’est pas seulement l’art de guérir, c’est encore surtout l’art de prévenir les maladies. Empêcher l’épidémie de s’étendre, limiter le fléau aux régions déjà envahies, tel est le but qu’on s’est proposé. C’est ce qu’ont compris les médecins russes réunis par le gouvernement, le 24 janvier, à Saint-Pétersbourg dans une assemblée présidée par le professeur Botkine. D’abord on discuta la nature de la maladie. Est-ce la peste, le typhus ? Mais M. Botkine termina cette discussion, stérile suivant lui, par cette conclusion pleine de bon sens : — Il est inutile de discuter maintenant sur les symptômes ou la nature de l’épidémie. Pendant que l’on discutait à Marseille en 1349, à Moscou en 1771, le fléau a étendu ses ravages. Prenons des mesures immédiates de protection.

Avant d’examiner les avantages ou les inconvéniens des moyens de protection qu’on a cru devoir adopter, il faut d’abord s’entendre sur ce qu’on appelle contagion et sur les diverses sortes de contagions. La contagion est un empoisonnement ; mais le poison, au lieu de se détruire, est régénéré, multiplié, dans le sang ou les humeurs de l’individu intoxiqué. Ainsi, voilà un animal empoisonné avec du curare ; le sang de cet animal contiendra du curare et pourra devenir un poison pour un animal plus petit ; mais ce sang ne sera un poison que par la quantité de curare qu’il contiendra. Par conséquent le nombre des individus que pourra empoisonner le premier individu atteint sera certainement très limité. Supposons au contraire un poison tel que celui de la Tage. Une parcelle du virus de la rage empoisonnera un individu ; mais chez

  1. Dans la cruelle épidémie de fièvre jaune qui vient de ravager notre colonie du Sénégal, les médecins de marine ont été frappés dans une proportion plus terrible encore. Jamais dans aucun pays, à aucune époque, les médecins n’ont failli au devoir professionnel.