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Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 32.djvu/470

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cet individu le virus se développera de telle sorte que son sang, sa salive, ses humeurs, pourront donner la rage à plus de cent personnes qui, empoisonnées à leur tour, peuvent devenir la source de nouveaux empoisonnemens. De là le danger terrible des maladies dites contagieuses, c’est que le poison se multiplie dans l’organisme des sujets atteints, et que le mal peut faire ainsi des progrès extrêmement rapides.

Toutes les maladies ne sont pas contagieuses de la même manière. Ainsi la maladie dite du charbon, la rage et la vaccine, cette bienfaisante maladie, ne sont pas à vrai dire contagieuses, elles sont inoculables, ce qui est bien différent : on peut vivre à côté d’un chien enragé sans contracter la rage ; de même on n’est pas vacciné pour toucher des gens qui portent des boutons de vaccine. Pour que la maladie prenne naissance, il faut que le poison, le virus, soit directement porté sous l’épiderme par une piqûre, une plaie, une morsure, etc. Tout autrement se comportent d’autres affections contagieuses, le choléra, la peste, la fièvre typhoïde, la variole, la fièvre jaune, l’érysipèle. Mais autant il est facile de suivre le développement d’une épidémie de charbon ou de rage, qui nécessitent toujours une déchirure de l’épiderme, une pénétration par effraction, autant pour les maladies contagieuses proprement dites la marche et la voie de l’épidémie sont difficiles à reconnaître. Les émanations des déjections, les poussières voltigeant dans l’air, les linges imprégnés de miasmes, sont des véhicules du poison. Et pour qu’on soit atteint, il n’est pas. nécessaire qu’il y ait une plaie, une rupture, fût-ce minime, de la surface cutanée ; le simple contact suffit ; on ne peut même pas dire si la contagion est due à un contact direct, immédiat, de la peau avec l’objet affecté.

Cette question est bien trop obscure et comporte des faits trop complexes pour que nous puissions la traiter ici avec les développemens qu’elle mériterait. Pour ce qui concerne la peste, il est certain qu’elle est contagieuse : on devrait en conclure qu’elle est inoculable, et cependant beaucoup de faits tendent à prouver qu’en faisant pénétrer sous l’épiderme une goutte du pus des ulcères fétides des pestiférés, on ne peut pas faire naître la peste, comme on ferait naître le charbon, en se piquant avec une lancette mouillée de sang charbonneux. Ainsi, à Jaffa, pendant la fameuse expédition de Bonaparte en Orient, il y eut cette meurtrière épidémie de peste, dont un peintre illustre a immortalisé le souvenir en représentant la visite du général aux pestiférés. Il s’agissait de rassurer les soldats sur les dangers de la contagion. Desgenettes, médecin en chef de l’armée, s’inocula le poison, et ne fut pas atteint. En 1771, pendant la grande peste de Moscou, on fit sur des forçats une expérience qui n’amena aucun résultat décisif. On les revêtit d’habits ayant appartenu à des pestiférés et on barbouilla leur corps avec le sang des cadavres. Tout récemment, M. de Lesseps