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militaire. « Homme de bonne volonté de l’ancienne armée, » il offre ses réflexions sur l’état présent des choses militaires « à l’examen des hommes de bonne volonté de la nouvelle armée française, » et cette étude il la poursuit avec ce mélange de science et d’imagination, d’ardeur convaincue et de sagacité, qui fait la séduction de son talent, qui est l’originalité de cette nature de soldat. Le général Trochu n’a-t-il point parfois, lui aussi, ses illusions, ses idées à demi chimériques, plus spécieuses que sérieusement applicables ? Peu importe ; il n’a pas moins à chaque page une multitude de vues ingénieuses et fortes sur toutes ces questions qui se débattent encore, sur la nécessité de créer des institutions militaires, sur la réforme de l’enseignement des officiers, sur la condition des sous-officiers, sur cet état-major dont il a été l’un des plus brillans modèles et qu’il s’agit maintenant de reconstituer. Il montre surtout qu’il ne suffit pas de faire des lois, des organisations, qu’il faut un autre esprit pour vivifier ces lois, pour coordonner et animer ces masses destinées à devenir la nouvelle armée française. C’est ce sentiment supérieur qui éclate dans les généreuses pages du général Trochu, qui est digne d’inspirer nos jeunes soldats et les chefs qui ont à les conduire aussi bien que tous ceux qui ont à compléter ou à réaliser jusqu’au bout la réorganisation militaire de la France.

Après tout, si tant d’œuvres utiles et pressantes restent paralysées par des agitations factices, s’il y a des difficultés qu’on avait prévues, sans parler des dangers qu’on croyait avoir définitivement conjurés, si en un mot la France n’est pas au bout de ses épreuves, tout n’est pas facile pour les autres pays de l’Europe. Non, rien n’est précisément aisé ni pour la Russie, ni même pour l’Allemagne, et les succès militaires ou diplomatiques, les avantages extérieurs, si brillans qu’ils soient, ne suffisent pas à pallier d’incessans embarras, de secrètes faiblesses, de profondes incohérences intérieures. Certes, s’il y a quelque chose d’étrange et de dangereusement significatif, c’est ce qui se passe en Russie depuis quelque temps ; c’est ce travail révolutionnaire qui se poursuit en dépit de tout et éclate de temps à autre par des attentats sinistres, c’est cette fureur de meurtre qui défie la police et que la guerre d’Orient, avec ses diversions et ses succès, n’a ni désarmée, ni découragée. Il y a quelque temps, c’était en pleine capitale, à Saint-Pétersbourg, que les chefs de la police impériale étaient frappés par des meurtriers qui ont réussi à déjouer toutes les recherches, qui sont encore inconnus. Maintenant c’est le gouverneur de Kharkof, le général prince Krapotkin, qui vient d’être assassiné dans sa province. Le général Krapotkin avait été pendant la guerre le lieutenant du prince Tcherkaski dans l’organisation de la Bulgarie ; il s’était signalé, à ce qu’il paraît, par des procédés assez soldatesques qui avaient motivé quelques plaintes de la diplomatie, et le gouvernement russe, sans le disgracier,