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comme on avait proposé d’adoucir les peines édictées contre les importateurs de bestiaux atteints par la maladie, le chancelier s’est emporté contre les libéraux ; il s’est écrié lestement que c’était toujours de même, qu’on songeait plutôt à épargner aux criminels les rigueurs de la loi qu’à protéger les honnêtes gens contre les criminels. Le chef du parti national, M. Lasker, a cru devoir relever la provocation ; mais le chancelier s’est récrié plus vivement encore, de façon à laisser M. Lasker et les libéraux assez consternés.

Que se propose réellement M. de Bismarck ? Il est évident que pour la réalisation de ses projets, pour la réforme économique et le rétablissement d’une certaine protection commerciale qu’il médite, pour le succès de ses négociations avec Rome, comme pour les répressions qu’il entend exercer à l’égard des socialistes, il ne compte plus sur le parlement tel qu’il est. Il ne le cache même pas ; il ne laisse échapper aucune occasion de confier à tous ceux qui s’adressent à lui ses plaintes, ses griefs et ses récriminations. Il déclare tout haut qu’avec un appui aussi peu assuré du pouvoir parlementaire, il lui est impossible de donner satisfaction aux intérêts conservateurs, agricoles, financiers, industriels de l’empire allemand. Il a donc vraisemblablement déjà pris son parti d’une dissolution prochaine du Reichstag, et c’est sans doute l’explication des libertés singulières de son langage à l’égard d’une représentation parlementaire qu’il tient pour condamnée. Il n’attend peut-être qu’une occasion ; mais de ce nouveau scrutin que sortira-t-il ? Si c’est une chambre soumise aux volontés du chancelier, rien de mieux, du moins pour le moment ; si la chambre revient à peu près telle qu’elle est aujourd’hui, le problème n’est ni résolu, ni simplifié, d’autant plus que, si on ne voit pas bien comment M. de Bismarck se passerait du parlement, on voit encore moins comment, dans la situation de l’Allemagne, le parlement se passerait de M. de Bismarck.

L’Espagne à son tour vient d’avoir sa crise intérieure, une crise ministérielle qui s’est dénouée en quelques jours par la retraite de M. Canovas del Castillo et par l’avènement à la présidence du conseil du général Martinez Campos. A proprement parler, ce n’est point un changement de direction politique, puisque le nouveau cabinet comme l’ancien est l’expression des opinions conservatrices libérales qui ont trouvé jusqu’ici une majorité dans les cortès, et que de plus, comme pour rendre le fait plus sensible, quelques-uns des collègues de M. Canovas del Castillo, M. de Toreno, M. Orovio, M. Pavia, restent dans le ministère du général Martinez Campos. La modification qui vient de s’accomplir à Madrid n’a pas moins sa gravité parce qu’elle est la première de cette importance depuis le rétablissement de la monarchie et parce qu’elle est née de circonstances particulières. Comment s’est donc produite cette crise qui pendant quelques jours a si vivement occupé Madrid ?