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pour qu’on puisse croire qu’ils aient eu besoin d’emprunter aux chrétiens « l’oblation du pain, » qui occupait une place si grande dans ces célèbres mystères mithriaques que les légions impériales propagèrent dans toutes les provinces romaines.

Parmi les biens de toute espèce que la plante divinisée peut donner aux mortels, aucun n’a semblé plus précieux à l’Inde voluptueuse que l’empire des cœurs. Aussi le Rig-Véda et le Yadjour-Véda noir disent-ils que la meilleure des herbes est celle qui procure l’amour. « Parmi les herbes nombreuses qui ont Soma pour roi, dit le Rig-Véda, qui ont le secret de cent guérisons, tu es la suprême, toi qui disposes à l’amour, toi favorable au cœur. À cette herbe ont conjointement donné un pouvoir héroïque toutes les herbes qui ont Soma pour roi. » Les magiciennes de l’époque védique n’étaient pas moins habiles que les sorcières thessaliennes à se servir des plantes pour faire naître l’amour : « De même, dit l’Atharva-Véda, que le vent remue les herbes sur la terre, je remue ton esprit, pour que tu m’aimes, pour que tu ne t’éloignes jamais de moi. Vous deux, Açvins[1], réunissez donc le couple amoureux. »

Les chants populaires des Slaves conservent ces croyances de l’Orient. Dans les pesmas de la Serbie, dont on doit la publication à Youk, il est question de deux herbes qui produisent des philtres irrésistibles. Les chants populaires des Polonais parlent d’une plante aux feuilles bleues et aux fleurs rouges qui peut non-seulement rendre amoureux, mais encore transporter celui qui en fait usage où il le désire. N’a-t-on pas voulu dire que l’amour comme la foi peut transporter les montagnes ?

Le pizzungurdu des Siciliens a les mêmes propriétés que les herbes dont par le Vouk. Cette plante, dit M. Pitre, qui a recueilli en Sicile tant de précieuses traditions populaires, anéantit complètement le libre arbitre. Toute femme doit nécessairement brûler d’amour pour l’homme qui en administre le suc à sa victime dans un aliment. Les récits du continent italien sur la concordia nous présentent la même idée, mais sous une forme moins rude. Avec le temps, la pensée primitive a perdu une partie de son caractère absolu, comme ces êtres dont parle le transformisme, qui modifient leurs organes pour soutenir la « bataille de la vie » dans des milieux fort différens.

Le nom de concordia, qu’on donne en Italie à certaines plantes fait assez comprendre la vertu dont elles jouissent. Le Libellus de virtutibus herbarum, attribué à Albert le Grand, dit que la valeria

  1. Les Dioscures de l’Inde.