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contient un succus amantilis qui porte à s’aimer ceux qui se faisaient la guerre. Le célèbre dominicain allemand croit que la province dispose les époux à vivre en bonne intelligence. Au XVe siècle, Sarnini, de Sienne, parle de l’erba pacifica. Au XVIe siècle, J.-B. Porta fait mention de la concordia, à laquelle les femmes siciliennes attribuent le pouvoir de rendre plus aimables les maris querelleurs. Aussi dans ses grains noirs on voit l’image d’un cœur. Cette plante précieuse est encore connue dans les Abruzzes et en Piémont. Le professeur Saraceni écrivait de Chieti à M. de Gubernatis qu’à Majella les fiancés, afin de ne pas se brouiller, ont l’habitude de la porter dans un petit sac, avec d’autres objets. Dans la vallée de Lanzo, en Piémont, la concordia fournit aux fiancés des renseignemens prophétiques sur l’avenir qui les attend. Ils vont à la recherche de la palma christi, plante dont la racine, divisée en deux, a la forme de deux mains. Si l’une tourne à droite et l’autre à gauche, le mariage ne sera pas heureux. Dans la vallée d’Aoste, on consulte la fleur d’une autre plante, dont le suc peut produire l’amour ; mais on doit avoir soin, quand on en fait une boisson, d’employer le mâle pour les femmes et la femelle pour les hommes. S’il existe une plante qui a la vertu de rapprocher les cœurs, d’autres produisent des effets contraires : les noms de discordia, alterco, odio, donnés à ces plantes, sont assez significatifs. Telle est, par exemple, la virga pastoris, dont le suc, si l’on en croit Albert le Grand, mêlé au jus de la mandragore, fait naître la discorde entre ceux qui le boivent. Le curieux Livre de Sidrach, publié à Bologne par le professeur A. Bartoli, décrit cette plante. « Qui porte sur soi cette herbe, dit le Livre de Sidrach, est sûr d’être détesté de tout le monde. » Les bêtes elles-mêmes en éprouvent le pouvoir. Ces idées ne sont nullement étrangères à notre Orient, toujours fidèle aux croyances primitives. Un chant populaire des Bulgares, traduit par M. Dozon, cite trois plantes : la tentava bleue et la blanche, la vratica jaune et la koumanila, qui est de la même couleur. Une bête monstrueuse, appartenant à la race des dragons, Elka, s’éprend de Stoïan. Sa mère, qui veut le délivrer de ce triste amour, l’engage à tenir ce discours au monstre : « Elka, chère fille des dragons, puisque tu voyages tant, que tu parcours le monde entier, ne connais-tu pas les plantes qui font haïr, les plantes qui séparent ? car j’ai une sœur cadette dont un Turc s’est épris ; que je la lui fasse haïr, haïr, Elka, que je l’en sépare ! » Elka lui désigne alors les trois plantes qu’il faut faire bouillir, à minuit, dans un pot de terre non cuit au four. Une fois en possession du secret, la rusée Bulgare arrose son fils avec l’eau dans laquelle les plantes ont bouilli. Quand Elka arrive, elle s’écrie épouvantée : « Stoïan, cher Stoïan, que tu m’as aisément trompée et séparée de celui que